Glen Loverdale ...

Superstition Mountains

L’homme était assis depuis plus d’une heure à la table en bois du saloon. Il regardait droit devant lui, sans écouter les sarcasmes et insultes. Il avait commandé un whisky qui n’arriverait jamais. Une ceinture rouge serrait sa tunique noire à la taille, un bandeau blanc sur le front retenait sa longue chevelure noire. Il avait une vue d’ensemble sur le comptoir en bois, seuls ses yeux clignaient tandis qu’il restait impassible. Il leva la tête lorsqu’un homme se tint debout devant lui, avant de tirer la chaise en bois pour s’y asseoir. Il vit immédiatement l’étoile d’argent du Shérif.


- Pourquoi viens-tu encore ici ? Demanda le Shérif

- J’avais envie de boire un verre, répondit laconiquement l’homme.

- Ecoute-moi bien, Donovan …

- Appelez-moi Aigle Solitaire, coupa l’homme.

- Comme tu veux !

- Pourquoi me tutoyez-vous, Shérif Luckner ?

- Tu es bien susceptible, maintenant. On a été amis, il n’y a pas si longtemps. Tu aurais donc aussi oublié cela ?

- Amis ? Je n’ai pas besoin d’amis. Mes frères rouges ne me jugent pas. Les hommes blancs m’ont déjà condamné.

- Tu as peut-être raison, Aigle Solitaire. Peut-être !

- C’est un fait, inutile de revenir là-dessus.

- D’accord ! D’accord ! Pourquoi te fais-tu appeler Aigle Solitaire ?

- Pour mes frères rouges, je suis Aigle Solitaire.

- Oui, cela je le sais. Mais pourquoi Aigle Solitaire ?

- C’est une longue histoire !

- J’ai tout mon temps, Donovan.

- J’ai demandé un whisky qu’on ne me servira pas. Offrez-moi à boire et je parlerai.

 

Le Shérif se tourna vers le comptoir et leva son poing droit, il déplia le pouce et l’index en regardant le barman droit dans les yeux. Celui-ci secoua la tête de mécontentement mais prépara deux whiskies, qu’il posa devant Luckner. Le shérif en fit glisser un vers Donovan, qui but une gorgée lentement.


- Vous voulez toujours entendre mon histoire, Shérif ?

- Bien sûr ! Je t’écoute Donovan.

- Seulement si vous cessez de m’appeler Donovan, répondit Aigle Solitaire d’une voix glaciale.

- Vas-y, Aigle Solitaire. Content ?

- Aucune raison d’être content ou de ne pas l’être.

- Raconte donc ton histoire, Aigle Solitaire.

 

Aigle Solitaire but une autre gorgée de whisky puis reposa le verre.


Mon père était blanc et avait épousé ma mère selon le rite indien. C’était une squaw. Il a adopté le mode de vie de sa femme, de cette union j’ai été l’unique fils. A la mort de ma mère, mon père m’a laissé à la tribu indienne et a préféré revenir vers les hommes blancs.


- Je sais déjà cela, interrompit le Shérif Luckner.

- Toute histoire a un commencement Shérif.

- Je te laisse reprendre, Aigle Solitaire.

 

J’ai vécu toute mon enfance au milieu des indiens. Ils m’appelaient « Papoose Tsinapah », parce que j’avais le nez cassé. Pour devenir un homme, il faut que l’enfant prouve qu’il peut être un guerrier et un chasseur. Pour cela, il doit partir trois jours seul, presque nu, sans eau ni nourriture.


- C’est cruel, affirma Luckner.

- Taisez-vous Shérif, répondit Aigle Solitaire en buvant une gorgée de whisky.


Les autres enfants commençaient déjà à me trouver un peu trop blanc. Ils en plaisantaient entre eux et ne me voyaient plus comme un de leurs frères rouges. C’était le sorcier de la tribu qui décidait lorsqu’il était temps qu’un enfant accomplisse le rite sacré. Je n’ai pas attendu qu’il m’ordonne de le faire, j’ai quitté la tribu une nuit de pleine lune. Je suis allé à Superstition Moutains.


- Les monts de la Superstition ?

- Oui, Shérif Luckner !

- Mais pourquoi ?

- Laissez-moi continuer et vous saurez, dit sèchement Aigle Solitaire.

- Désolé de t’avoir interrompu !


J’ai traversé le désert en courant pieds nus et j’ai atteint Superstition Mountains en une nuit. Là, il fallait que je capture un aigle pour le ramener vivant à la tribu. J’ai gravi la montagne et j’ai vu un aigle noir majestueux au sommet. Il a pris son envol en m’apercevant. Je me suis assis et je suis resté ainsi jusqu’au zénith, sans bouger et les yeux fermés. Il tournoyait au dessus de moi, puis fondait comme s’il voulait me capturer. Mais comme je restais immobile, il a pris de l’assurance et s’est posé à quelques pas de moi. Je sentais sa présence, je ressentais sa peur aussi forte que la mienne. Une nouvelle nuit a passé et j’étais toujours à la même place.


- Comment as-tu réussi à rester immobile aussi longtemps ? Demanda Luckner.

- J’ai laissé les Esprits du Vent prendre possession de mon cœur et mon âme.


Le Shérif écarquilla les yeux de stupeur mais ne dit rien, faisant juste un geste du menton pour inciter Aigle Solitaire à poursuivre son récit.


La Lune m’observa toute la nuit et occupait mon esprit pour que je ne faiblisse pas. A l’aube, l’aigle noir, qui volait haut dans le ciel, s’est posé tout près de moi. J’ai réussi à saisir ses pattes que j’ai serré le plus fort que je pouvais. De son bec, il me déchirait la poitrine et tentait de me crever les yeux. J’ai couru le plus vite que j’ai pu jusqu’à la tribu de mes frères rouges. Mon corps ruisselait de sang, mais j’étais devenu un guerrier rouge. Le sorcier m’a longuement observé puis a déclaré que désormais, je serai Aigle Solitaire.


- Pourquoi ce nom plutôt qu’un autre ?

- Je n’en sais rien. Peut-être parce que j’avais capturé un aigle royal. Ou peut-être parce que j’avais agi comme le solitaire que je serai à l’âge d’homme.



24/04/2013
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