Glen Loverdale ...

rouge comme le sang

J’ai appris la mauvaise nouvelle par Fanny il y a quelques heures à peine. Je me sens terriblement responsable, je n’aurais pas du céder malgré l’insistance de Pierre. Je vais passer chez Fanny pour tenter de la réconforter un peu.

 

Il y a quelques semaines, j’étais invité chez Fanny et Pierre que je n’avais pas vu depuis presque une année entière. Je les apprécie tous les deux, mais je suis toujours réticent à répondre positivement à leurs invitations. Pourtant Fanny cuisine bien et je me régale à chaque fois. J’avais finalement accepté en leur demandant si je pouvais dormir sur place, plutôt que rentrer chez moi en voiture. Fanny avait éclaté de rire parce qu’elle savait  pourquoi je lui faisais cette demande.  

 

J’étais donc arrivé  peu après vingt heures et on avait pris l’apéritif presque aussitôt. C’était du vin blanc, une bouteille d’entrée de gamme qui casse la tête rapidement si on n’y prend pas garde. Je préfère nettement un bon vin rouge plutôt qu’un blanc ou un rosé. Mais bon, j’étais invité et buvait ce qu’on me sert. La première bouteille était descendue si  vite que je n’avais rien compris. Pierre avait alors débouché une autre bouteille mais j’étais plus prudent cette fois. Buvant moins vite qu’eux, j’avais ainsi un verre de retard à chaque tournée. Puis nous étions passés à table, Fanny avait préparé de succulentes gambas que Pierre avait  accompagnées d’un vin rosé d’entrée de gamme aussi.

 

Depuis que je connais ce couple, je sais qu’ils ont un problème avec l’alcool. Ce sont des boit sans soif, ce qui ne me correspond pas vraiment. Je préfère un seul verre d’un bon vin rouge plutôt que descendre des bouteilles les unes après les autres. Pierre a toujours eu de la chance car il n’hésite pas à conduire en état d’ébriété plus qu’avancée. Il n’a jamais subi de contrôles routiers avec éthylotest qui lui aurait valu une suspension immédiate de son permis. Je trouve son comportement dangereux pour lui, mais surtout pour les autres. Et ça le fait rire car il se vante de rouler bourré. Quand il est parti, il délire toujours là-dessus mais il cesse d’en parler dès que son regard croise le mien. Il tente à chaque fois une plaisanterie pour changer de sujet. Mais c’est toujours à ce moment là que je déconnecte.

 

Pour ne pas faillir à la règle, nous avions bu trois bouteilles de rosés. En y ajoutant les deux blancs de l’apéritif, ça faisait beaucoup. J’avais bien fait de rester dormir sur place plutôt que reprendre le volant.

 

Quelques jours après cette soirée, Pierre m’avait appelé sur mon téléphone portable. Il voulait me voir pour quelque chose d’important. J’étais arrivé le premier au bar-tabac de la mairie. Surpris de le voir à pied, il m’a annoncé qu’il avait été contrôlé avec un degré d’alcoolémie assez élevé.

 

- Roger, j’ai un grand service à te demander.

- Je t’écoute, Pierre, dis-je en buvant une gorgée de café.

- Je me suis fait griller par les flics. Je dépassais la limite d’alcoolémie autorisée et comme j’ai déjà eu ce genre de problèmes …

- Oui ?

- Faut que je fasse une prise de sang !

- Mouais, et alors ?

-  Je suis sur que le résultat ne va pas être bon.

- Viens directement au fait, Pierre. Arrête de tourner autour du pot.

- Bah, je me suis dit que …

- N’y pense même pas !

- Si on me sucre le permis, je ne peux plus bosser.

- Fallait y penser avant. Que ça te serve de leçon.

- Si je te promets de ne plus boire, tu veux bien faire la prise de sang à ma place ?

- Ah !

- Ce serait chic de ta part.

- Ce n’est pas un service que je te rendrais.

- Tu as d’accord ? T’es un vrai pote, Roger !

- Je n’ai pas dit oui. Tu n’arrêteras pas de boire pour autant, c’est une promesse d’ivrogne.

- Je vais me faire soigner, Roger. J’en ai parlé avec Fanny, sinon elle me quitte.

- Faut que tu aies la trouille pour te bouger le cul, hein !

- Sois pas dur, ce n’est pas facile pour moi.

- Quoi ? De ne pas boire ? Regarde ta gueule, tu parais dix ans de plus.

- Je sais ! Je sais ! Alors ?

- Ce n’est pas un service à te rendre. Je le fais pour Fanny, ok ?

- Ok ! Merci mon ami, je ne vais pas te décevoir.

 

Je savais que c’était une erreur mais je l’avais commise quand même. Pierre m’avait prêté sa carte vitale et j’avais fait l’analyse à sa place. Je lui avais signé un papier pour qu’il passe prendre les résultats au laboratoire, car il voulait filer directement au centre de contrôle. Il m’avait juste passé un coup de fil avant d’y aller, en m’indiquant que tout était parfait. Quatre heures plus tard, Fanny m’avait téléphoné pour m’annoncer le décès de Pierre. Un chauffard ivre avait percuté sa voiture, il avait perdu le contrôle de son véhicule et percuté un arbre. Il était mort sur le coup tandis que l’autre ivrogne s’en tirait avec quelques contusions.

 

Arrivé chez Fanny, elle était en larmes pleurant la malchance de son compagnon. Elle m’avait dit qu’il lui avait promis de tenir sa parole. Et qu’il ne boirait plus jamais. Entre deux hoquets de larmes, elle réussit à articuler que c’était peut-être mieux pour Pierre.

 

- Comment ça ? Lui demandais-je

- Il ne t’a rien dit quand il t’a appelé après avoir récupéré les résultats.

- Non, il m’a juste dit qu’il filait régulariser sa situation.

- C’est mieux pour lui, répéta-t-elle.

- Pourquoi ? Il s’était fait virer de son boulot ?

- Non, enfin je ne sais pas.

- Bah dis-moi alors !

- Il était séropositif, di-elle en éclatant en sanglot.

- ….

- Mon Dieu, hurla Fanny en me regardant comme si c’était la première fois qu’elle me voyait !



05/01/2013
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