Glen Loverdale ...

Faux semblant !

Il fallait que le téléphone sonne alors que Marcus venait juste d’entrer sous la douche. Il passa vite un peignoir et se hâta de décrocher car il attendait un appel important. Il pesta en voyant qu’il avait mis de l’eau partout, il était sorti pieds nus de la douche.

 

- Marcus, j’écoute.

- Salut Marcus, comment vas-tu ?

- Mal, parce qu’un crétin me fait sortir de la douche !

- Désolé, mec. C’est Francis.

- Francis ? C’est toi Francis ? Merde alors, si je m’attendais à ça !

- Et oui, ça fait un bail, non ?

- Bah plutôt ! Que deviens-tu ?

- On en parlera plus tard. J’ai un petit service à te demander. Ce n’est pas grand-chose, mais tu peux me tirer d’affaire.

- De quoi s’agit-il ?

- On a un tournage ce soir et je n’ai pas trouvé le figurant idéal.

- Tournage ? Figurant ? Tu bosses dans le cinéma ?

- Oui, je suis régisseur.

- Félicitations, Francis. Je suis ravi pour toi.

- Ok ! Tu veux bien me dépanner ce soir ?

- Ca dépend si c’est dans mes cordes.

- Oh ! Ne t’inquiète pas, c’est juste une séquence de quelques minutes.

- Je ne sais pas. Tu crois que j’en suis capable ?

- Je te connais bien, ça ne te posera aucun problème. Tu es ok ?

- Bon, ça marche. C’est où ? A quelle heure ?

- C’est au château des Laze à vingt-deux heures. Tu peux t’habiller comme tu veux, il faut que tu te sentes à l’aise dans tes vêtements.

- Château des Laze ? Comme dans la chanson de Polnareff ?

- Yes, monsieur. Je te file l’adresse et je t’attendrai au portail.

- Oki doki !

 

Surpris par cet appel de Francis et encore plus par la motivation de son ami, Marcus s’assit à même le sol. Il n’avait pas vu son super pote depuis pas mal d’années et il se réjouissait de le revoir. Bien sûr, les conditions de leurs retrouvailles étaient spéciales, mais plus rien n’étonnait Marcus. Il reprit la direction de la douche et sifflota la chanson du Bal des Laze. Il fuma quelques cigarettes en attendant de se rendre au château, où il arriva quinze minutes avant l’heure de sa rencontre avec Francis. Celui-ci se tenait à l’endroit qu’il avait indiqué. Marcus sortit de sa voiture, prit Francis par les épaules et le serra contre lui.

 

- Ca me fait plaisir de te revoir, Francis.

- Et moi donc ! Bon, on y va. Le tournage ne devrait pas être trop long et je t’invite au resto après. Ou on va dans une boîte de jazz et on pourra y manger un morceau en écoutant des trucs sympas.

- Parfait pour moi. On va en avoir des choses à se dire.

- Et oui, répondit Francis en faisant un petit clin d’œil complice.

 

Ils traversèrent le parc du château et gravirent les marches du perron pour se retrouver dans ce qui ressemblait  à une salle de réception aménagée en cuisine-salle à manger. Marcus leva la tête et fut impressionné par la hauteur du plafond. Il regarda les techniciens occupés à mettre en place le décor, les caméras et tout ce dont ils avaient besoin pour la scène de tournage.

 

- Francis, je suis censé faire quoi ? Demanda Marcus.

- Pas de consigne pour toi, on veut que tu sois naturel. Je sais que tu auras la réaction qu’on attend de toi, et on aura peut-être une seule prise à faire.

- Tu as sacrément confiance en moi. Je n’ai jamais fait ce genre de truc.

- Ben justement, c’est mieux. Alors n’oublie pas une seule chose : tu ne regardes pas la caméra. C’est comme lorsqu’on veut prendre une photo naturelle, il ne faut jamais regarder l’objectif.

- Bien, j’essaierai de m’en souvenir.

- Je vais te donner juste une consigne, Marcus. Tu devras être devant les plaques de cuisson à surveiller ce qui cuit dans la poêle. Ensuite, tu te laisses guider par ton instinct.

- Ah bon ? Rien que ça ? Et si je ne réagis pas comme tu l’espères.

- Ne t’inquiète pas. Ca ira comme sur des roulettes ! Pour la scène, on t’appellera Jeannot

 

Le metteur en scène et Francis me désignent le coin cuisine et me montrent l’endroit où je dois me tenir. Je suis un peu tendu car je ne sais pas ce qui va se passer, mais j’ai totalement confiance en Francis. S’il sent que je suis capable de faire ce qu’on attend de moi, il a sans doute raison.

 

Silence … Action … Moteur !

 

Je surveille la cuisson du repas dans la poêle sur la plaque électrique. Soudain, j’entends une voix féminine derrière moi.

 

- Jeannot, me dit une jolie voix féminine.

- Oui ? Dis-je en me retournant avec étonnement.

 

Il y a une femme charmante, blonde aux yeux clairs à quelques pas de moi. Elle porte un pantalon de cuir noir et un chemisier rouge. Je remarque qu’elle tient un verre de vin rouge dans la main gauche et quelque chose que je ne distingue pas dans la main droite. Je suis surpris car son regard est celui d’une démente. Tout son visage respire la folie absolue. Je ressens un élancement dans le cœur tant je suis sidéré. Elle me regarde avec un sourire qui me fait peur, son visage est un rictus de haine et de folie. Elle me dévisage une fraction de seconde en portant ce qu’elle tient dans sa main droite vers sa bouche. Puis, elle fait mine de boire le vin. Totalement pris au dépourvu, sans réfléchir une seule seconde, je saisis brutalement le verre de vin, avant même qu’elle n’en boive une goutte, et je le dépose sur le plan de travail de la cuisine. Puis, instinctivement, je porte mes doigts dans sa bouche et d’un geste vif, je prends ce que j’y trouve et je balance tout à même le sol. Je comprends qu’il s’agit de médicaments. Interloqué, je la regarde alors et mon cerveau me dit qu’il s’agissait d’une tentative de suicide. Mon cœur bat à tout rompre. Maintenant que la poussée d’adrénaline retombe, tout mon corps tremble.

 

- Parfait, dit une voix forte que je reconnais comme celle de Francis.

 

La jeune femme s’approche de moi et m’embrasse sur les joues. Elle me dit que j’ai tenu mon rôle à la perfection. Mais je ne l’entends pas, je n’ai pas aimé ce qui vient de se passer, même si je réalise maintenant que c’était une scène de film. Francis vient vers moi et pose ses mains sur mes épaules.

 

- C’est dingue, Marcus. Tu as fait exactement ce qu’on attendait de toi.

- J’ai eu vraiment peur. J’étais persuadé qu’elle tentait de mettre fin à ses jours.

- C’est du cinéma, Marcus. Ca va ?

- Non, Francis. Ca ne va pas.

- Bon, viens. Je t’invite au resto, tu as eu assez d’émotions ce soir.

 

Nous sortons tous les deux du château et il me propose de prendre sa voiture. Il me ramènera après le restaurant. Je ne dis pas un mot en le suivant. Je regarde la route devant moi en silence. Puis je décide de lui poser la question qui me brûle les lèvres depuis la fin de la scène.

 

- Francis, c’était une tentative de suicide !

- Oui, exact !

- C’étaient de vrais médicaments ?

- Oui.

- Quels genres de médocs ?

- Des antidépresseurs et des anxiolytiques !

- Attends, si je n’avais pas ouvert sa bouche pour en sortir les médocs, elle pouvait y passer cette comédienne.

- Non, aucun risque !

- Tu en es sûr ?

- Absolument. Je vais te dire une chose que tu sembles ignorer.

- Vas-y, je suis curieux de t’entendre.

- Si une nana te fait ce coup là, prendre des médocs et boire de l’alcool, exactement comme dans cette scène de tournage, il faut que tu saches quelque chose.

- Quoi donc, Francis ?

- C’est du chantage au suicide. Une nana qui fait ça n’a aucune intention de se tuer. C’est juste pour tester l’amour de son mec.

- Ouais, je n’en suis pas convaincu.

- Ecoute-moi bien, Marcus. Ce genre de truc, c’est au pire un appel au secours.

- Et au mieux ?

- Au mieux ? Du chantage affectif. Si une nana te fait ça, c’est qu’elle n’aime qu’elle. Et qu’elle n’aime pas le mec avec qui elle est.

- Ouais, j’essaierais de m’en souvenir. Tu veux dire que prendre des médocs avec de l’alcool, c’est un suicide simulé ?

- Exactement. Sinon pourquoi le ferait-elle devant toi ? Juste pour te foutre la trouille et avoir le pouvoir sur toi. Elle saura que tu auras toujours peur qu’elle recommence. Et là, elle te contrôlera à sa guise !

- T’es certain de ce que tu dis ?

- Oh que oui !

- J’essaierai de m’en souvenir si ça m’arrive un jour !

 

Ce que Marcus ne savait pas, c’est qu’il vivrait cette scène en vrai. Mais pas pour un tournage de cinéma. Et qu’alors, il serait pris au piège du chantage affectif de la femme qu’il aimerait des années plus tard. Et il comprendrait trop tard qu’il y a certaines femmes qu’il faut fuir, avant même de commencer quoi que ce soit. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il ne faut jamais commencer ce qu’on ne peut pas finir ?



28/07/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres