Glen Loverdale ...

Paradise Island

Lorsque Jack avait reçu cet appel de Glen, il avait été doublement surpris. Tout d’abord parce que cela faisait un bout de temps qu’ils ne s’étaient ni vus ni parlés au téléphone. Le lieu du rendez-vous qu’avait proposé Glen était tellement étonnant que Jack en était resté sans voix. C’était le soir même, vers vingt heures, devant la Bourse de Paris.

 

- Tu es devenu trader, demanda Jack d’une voix amusée qui ne masquait en rien sa surprise.

- Cela te gênerait si tel était le cas, Jack ?

- Tu sais bien que je ne t’ai jamais jugé et que je ne le ferai jamais. Mais bon, si tu souhaites faire partie de l’élite économique et financière, tu en as parfaitement le droit.

- Tu te souviens de cette réplique d’Al Pacino dans Scarface de Brian de Palma ?

- Laquelle Glen ? Il y a eu pas mal de scènes et répliques cultes dans ce film.

- Celle-ci, Jack : You get the money, then you get the power. And when you get the power, you get the women !

- Putain de merde, Glen ! Tu as besoin de fric pour baiser des nanas maintenant ?

- Non, rassure-toi. Il y a des femmes attirées par ces hommes de pouvoir, au point de les prendre pour des esthètes, des aristocrates. Alors que ces mecs n’ont qu’une idée en tête : baiser ces nanas faciles, ou qui jouent à ne pas être faciles. Le fric attire beaucoup de monde comme la merde attire les mouches.

- Bon ça va, Glen. Calme-toi. Je serai à vingt heures devant la Bourse, celle où se trouvent les bourses fatigués des héros financiers qui ont besoin du repos du guerrier.

- Fais gaffe, Jack. Tu vas finir en Gaucho Ramirez, répondit Glen en éclatant de rire. A ce soir, podna !

 

A l’heure dite, Jack arriva près de la bourse de Paris et gara sa voiture. Il marcha lentement en se dirigeant vers le paradis artificiel du Pouvoir économique et financier. Un coup de klaxon le fit sursauter et il était prêt à insulter le conducteur indélicat qui roulait dans une superbe voiture à 200.000 euros. Il cligna plusieurs fois des yeux en reconnaissant le « pilote » du bolide. Son pote Glen roulait dans un véhicule hors de prix, cela ne lui ressemblait en rien.

 

- Monte, Jack, on y va.

- Je ne suis pas garé loin, Glen. Je te suis !

- Non, non ! Je te raccompagnerai après si la soirée se passe comme prévue.

Jack s’installa près de Glen et le regarda attentivement. Il avait du mal à reconnaître son ami, avec lequel il avait fait les quatre cent coups. Concentré sur la conduite, Glen restait silencieux et attentif à ne pas faire emboutir sa voiture dont le prix aurait donné le vertige à n’importe qui.

- Tu as des goûts de luxe, Glen ?

- Pourquoi cela ?

- Tu es sapé comme un prince et tu roules dans un carrosse hallucinant. Ca ne te ressemble pas vraiment.

- « Le paraître », Jack. « Le paraître ».

- C’est-à-dire ?

- On va dans un monde qui n’est ni le tien ni le mien. On fait illusion en adoptant leurs codes.

- Attends … Attends … Où m’emmènes-tu ?

- Un lieu dont tu te souviendras toute ta vie, soit comme ton plus beau rêve éveillé … soit comme ton pire cauchemar !

- Je crois que c’est tout vu. Ca ne me branche pas, mais alors pas du tout.

- Dans ce cas, dis-toi que tu vas faire une expédition ethnologique.

- A tout prendre, je préfère aller au zoo … les animaux y sont bien plus sympathiques.

- Tsss Tsss, tu as trop d’à-priori, Jack.

- Peut-être, mais je les assume.

- Fais-moi plaisir, Jack. Tu as confiance en moi ?

- Jusqu’à il y a une demi-heure, j’avais encore confiance. Là, je ne sais plus.

- Fais-moi confiance. Je ne suis pas du genre à te faire un coup foireux.

 

Jack secoua la tête puis fixa les voitures qui les précédaient d’un regard morne. Glen eut un petit sourire et les deux hommes se turent durant le trajet qui menait à la destination connue uniquement du conducteur. Lorsque Glen gara la voiture, Jack eut un hoquet de surprise.

 

- C’est là, Glen ?

- Oui ! Ca ne te convient pas ?

- Bah écoute, ce n’est pas le genre de lieu auquel je m’attendais.

- Et ?

- Rien ! Puisque j’ai décidé de te faire confiance, je ferme ma grande gueule.

- Allez, un sourire Jack.

- Mouais, une risette à tonton Glen !

- Ah voilà, je retrouve mon Jack avec son sens de l’humour légendaire.

- Bon allons-y. J’ai envie de voir du maquereau et de la morue.

- Comme tu y vas, mon ami. Sache que ceux que tu appelles des maquereaux sont les aristocrates esthètes de notre belle société. Ils savent déguster un bon vin, hors de prix, en écoutant un Jean-Sébastien tout en te citant ensuite du Rimbaud dans le texte. Et ils t’expliqueront le sens du monde, si tu es bien sage.

- Oui bien sûr, Glen. Et les morues sont en réalité de jolies truites à la cervelle aussi belle que leur carrosserie ?

- Que veux-tu Jack. Il faut bien les comprendre. L’ascenseur est plus rapide que l’escalier, surtout quand on n’a pas froid aux yeux.

- A mon avis, le feu se situe nettement plus bas que les yeux … et puis si ça peut aider à monter dans l’échelle sociale … Ah maudit veau d’or, tu n’es pas mort !

- Sacré Jack, répondit Glen en éclatant de rire. Ton sens de la répartie me surprendra toujours.

- Bon trêve de bavardages. Allons pêcher nous aussi … J’ai une faim de …

- Ne dis rien, Jack, hoqueta Glen pris d’un fou rire irrépressible.

Les deux hommes se dirigèrent vers l’entrée et le portier leur ouvrit la porte en les saluant respectueusement.

- Dis-moi, Glen, nous n’avons pas la tenue adaptée.

- Aucune importance, ce qui compte ici c’est uniquement le poids de ton compte en banque.

- Quelle monde de merde. Je vais me sentir sale et puant si je vais là-dedans.

- Mais non, une bonne douche ensuite et il n’y paraîtra plus rien.

- Mouais. Comment tu as réussi à te faire inviter ici ?

- Tu te souviens de Sylvain ?

- Quoi ? L’héritier ?

- Oui !

- Bah merde alors, t’es resté en relation avec lui ?

Un serveur s’approcha d’eux avec un plateau garni de coupes de champagne.

- Prends une coupe, Jack !

 

Les deux hommes se faisaient face, Glen avait un large sourire illuminant son visage tandis que le rire de Jack transformait son visage en une grimace de dégoût. Ils se regardèrent droit dans les yeux, trinquèrent et burent une gorgée de ce champagne d’une cuvée rare au prix exorbitant.

 

- Donc tu as gardé le contact avec Sylvain. Je n’ai jamais apprécié ce mec.

- A moi aussi, mais bon là n’est pas la question. En fait, je l’ai toujours impressionné.

- Oui mais de là à être son ami, il y a une sacrée marge.

- Je lui ai sauvé la mise et depuis il se sent redevable.

- Il a du faire une énorme connerie.

- Oui, répondit Glen dont le regard devint dur et fixe.

- Il est là ce soir ?

- Ca m’étonnerait, il doit être occupé à baiser sa jeune journaliste.

- Sa femme est au courant ?

- Je m’en fous, pas mes affaires.

 

Les deux hommes se dirigèrent vers le buffet, répondant d’un signe de tête aux personnages de la haute société économique et financière qu’ils croisaient. Jack observaient d’un œil attentif les jeunes femmes en compagnie desquelles l’Elite participait à cette soirée d’un monde d’illusions. Elles étaient jeunes et belles, buvant les paroles de ces hommes qui se prenaient pour des aristocrates. Le cadre, les mets, les boissons, tout était d’un luxe insolent.

 

- Glen, tu as vu toutes ces jolies femmes ?

- Oui, et alors ?

- Elles sont toutes dans le circuit ?

- C’est-à-dire ?

- Tu sais bien ce que je veux dire.

- Précise ta pensée quand même, Jack.

- Ok ! Ce sont des putes ?

- Non. Pas toutes. Il y en a là qui viennent pour prendre l’ascenseur.

- L’ascenseur ? Quel ascenseur ?

- Mémoire courte, Jack ? Celui qui donne accès au lit de ces hommes qui se prennent tous, je dis bien tous, pour une élite supérieure aux autres hommes.

- Ce monde me révulse, Glen. Je ne me sens pas à ma place ici. Tout est faux, artificiel et illusoire. Ces salopards se prennent pour les maîtres du monde.

- Ils n’ont pas tout à fait tort. Un claquement de doigt et ils obtiennent ce qu’ils veulent.

- Et ces femmes ? N’ont-elles aucune fierté ?

- Fierté ? Il faudrait qu’elles connaissent ce mot et sachent ce que cela signifie.

 

Jack ferma les yeux, les rouvrit comme pour vérifier qu’il ne rêvait pas. Glen l’observait attentivement, comprenant que son ami se sentait vraiment mal en ce lieu dont l’odeur nauséabonde donnait envie de gerber.

 

- Allez Jack, ne faisons pas durer le plaisir.

- On va bouffer avec tous ces pourris, mon podna ?

- Non, on se tire de cette merde !

- Merci Glen. On va boire un verre dans un pub ?

- Oui, avec de vrais hommes et femmes. Un univers où la séduction est autre chose que de baiser une pauvre femme qui se croit membre de la secte des aristocrates.

 

Jack et Glen posèrent leurs coupes de champagne, à peine bue, sur un coin de table et quittèrent ce lieu sans plus attendre. De ce monde d’illusion, le rêve a tout du cauchemar. Mais celles et ceux qui en font partie ne savent pas qu’ils sont déjà morts ! Jack et Glen n’auraient jamais le pouvoir des hommes qu’ils venaient de voir. Ils appréciaient la vraie vie au lieu de se vautrer dans le luxe dont l’odeur révulserait même un sans domicile fixe.



01/09/2015
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