Glen Loverdale ...

Conversation mondaine

La fin de journée ensoleillée était parfumée des senteurs printanières. Un homme marchait la tête basse et les épaules voutées, comme s’il portait un fardeau trop lourd pour lui. Son regard brillait d’une lueur étrange, il semblait fixer un point au loin, visible de lui seul. Il s’arrêta soudain devant une vitrine faiblement éclairée. Il se redressa lentement et il fut surpris lorsqu’une main se posa sur son épaule.

- Alors, Glen ! Que fais tu donc ici ?

 

Surpris, Glen se tourna vers celui qui l’interrogeait et son regard s’illumina un bref instant.

 

- Hello, Jack. Rien, je ne fais rien !

- Si tu as quelques instants, entrons dans ce salon de thé. C’est celui de Tarja.

- Pas trop envie, Jack. Ce n’est pas la grande forme.

- Justement, viens !

- Quelle heure est-il ? demanda alors Glen.

- Il est dix-sept heures.

- Ah ! C’est donc l’heure du thé ! Allons-y Jack.

 

Les deux hommes entrèrent dans le salon de thé et s’installèrent dans un coin isolé, à l’abri des regards. Tarja les aperçut et se dirigea vers eux.

 

- Alors, les play-boys en vadrouille, qu’est ce que je vous sers ?

- Je peux avoir un whisky, demanda Glen d’une voix un peu trop forte.

- Désolée, tu sais très bien qu’on ne sert pas d’alcool ici.

 

Glen passa sa main devant son visage, comme pour chasser un voile noir qui assombrissait sa vue. Il caressa plusieurs fois son menton du dos de sa main. Tarja interrogea Jack du regard, surprise par le comportement inhabituel de Glen. Celui-ci regardait encore dans le vide, l’air complètement absent. Jack fronça les sourcils et commanda deux thés à la menthe, en demandant s’il était possible de les servir dans des verres en cristal. Tarja opina et repartit vers le comptoir, déboussolée par l’attitude de Glen. Elle l’avait déjà vu en petite forme mais jamais comme aujourd’hui, et elle en était un peu inquiète. Connaissant la grande complicité et la confiance forte entre Jack et Glen, elle se doutait que Jack parviendrait à faire retrouver le sourire à leur ami commun. Elle prépara leur commande rapidement et elle ajouta un assortiment de chocolats. Elle s’approcha de la table des deux hommes et elle fit un signe de tête à Jack, qui lui répondit par une moue d’incompréhension.

 

- Que se passe-t-il, demanda Jack.

- J’ai fait un rêve étrange la nuit dernière. Un cauchemar peut-être, je n’en sais rien !

- Tu veux m’en parler ?

- Ouais !

- Prends ton temps, je t’écoute.

 

J’étais à la montagne, seul, et je gravissais une pente enneigée. J’ai senti une présence tout près de moi, et je me suis arrêté. Il y avait une femme qui ressemblait à une fée. J’étais surpris car malgré le froid glacial, elle ne portait qu’une simple robe. Elle m’a souri et je me suis approché d’elle mais elle a alors disparu. Je me suis tourné de tous côtés et je ne l’ai plus revu. J’ai donc continué à monter encore plus haut et je me suis retrouvé au sommet de cette petite montagne, sans savoir comment j’y étais parvenu. Je me suis alors étendu sur la neige qui m’a paru froide et douce à la fois. Je voyais les nuages chargés et il a commencé à neiger très fortement, mon corps commençait à être entièrement recouvert. Je me sentais bien et j’avais sommeil.

 

- C’est étrange, Glen ! S’endormir ainsi, on risque de ne jamais plus se réveiller.

- Tu as raison, Jack. J’étais envahi d’une douce torpeur. Je sentais qu’une page se tournait, la page de ma vie sans doute. Mais laisse-moi poursuivre.

- Ok !

 

Soudain, j’ai aperçu un aigle qui volait haut dans le ciel. Il semblait tourner lentement autour de moi et il se rapprochait de plus en plus. J’ai souri en me disant que j’étais dans un désert sans lumière et qu’il s’agissait d’un vautour, pour lequel j’étais devenu une proie inoffensive. Mon corps s’engourdissait de plus en plus et j’avais du mal à garder les yeux ouverts. Et puis, j’ai entendu une voix profonde, chaude et douce à la fois.

- Qu’as-tu fait de ta vie, me demandait cette voix.

- Rien ! J’avais des rêves et j’ai tout fait pour les détruire.

- Réfléchis bien, insista alors la voix.

- Réfléchir ? Mais à quoi donc ?

- Je ne peux pas réfléchir à ta place !

- Tu as raison, Aigle noir ! En croyant bien faire, je détruis toujours ceux que j’aime. Je veux semer les rires et la joie, et je ne suis capable que de récolter les larmes et la désolation !

- C’est vraiment ce que tu penses ?

- OUI ! La première fois, j’ai pensé que c’était dû au hasard. La seconde fois, c’était une coïncidence. Mais à partir de la troisième fois, c’était une habitude, non ?

- C’est à toi de trouver la réponse !

 

- Je me suis alors réveillé brutalement, le corps trempé de sueur, dit alors Glen.

 

Jack observa longuement son ami en silence, plongé dans ses pensées, ne sachant pas quoi dire.

 

- Ne dis rien, Jack. Les questions n’ont pas toujours de réponses !

 

Glen écarquilla les yeux comme pour signifier à son ami qu’il ne comprenait plus rien au sens de la vie. Au sens de sa propre vie. Il fit un petit sourire triste puis son regard se posa sur son thé qu’il n’avait même pas gouté. Ses épaules se voûtèrent presque naturellement et il resta ainsi un long moment.

 

- Glen, il faut te ressaisir, lui dit Jack.

- Mouais ! c’est une excellente idée. Tu en as d’autres du même style ?

- Arrête ! A quoi cela te sert-il ?

- A rien !

- Exact !

- Nous sommes d’accord, Glen. Ensuite ?

 

Jack plongea son regard dans celui de Glen qui l’observait maintenant avec un sourire ironique. Les deux hommes semblaient se jauger comme deux adversaires prêts à un combat terrifiant et ultime. Jack se mordilla la lèvre inférieure et ses yeux trahissaient son incompréhension face au comportement de son ami. Il l’avait déjà vu quand il allait mal, mais cette fois cela dépassait tout ce qu’il imaginait.

 

- Glen, ce n’est pas un simple rêve qui doit te mettre dans cet état.

- Ah ! Peux-tu me dire dans quel état je suis, monsieur-je-sais-tout ?

- Avant que tu ne continues dans cette voie, j’ai une question à te poser !

- Je t’écoute !

- Qui suis-je ?

- Jack, je crois que tu es Jack !

- Et ?

- Je ne vois rien d’autre, désolé !

- Je suis ton ami, Glen ! Tu as même oublié cela ?

 

Le regard triste et lointain, Glen secoua la tête pour signifier à Jack qu’il n’avait pas oublié. Il posa deux doigts sur son menton et il semblait réfléchir profondément. Il prit ensuite son verre de thé entre la paume de ses mains et il s’amusa à le faire rouler ainsi. Il inspira profondément et il ouvrit la bouche, Jack le regardait attentivement en attendant que son ami vide enfin son sac.

 

- Jack, je sème le mal partout où je passe. Je crois agir au mieux mais c’est toujours le contraire qui se produit. J’ai dit à l’aigle noir de mon rêve que c’était même devenu une habitude, et c’est tout à fait cela.

- Ta vision est obscurcie par tes états d’âme, Glen. Tu es fort et tu l’as toujours été, il n’y a aucune raison que cela change à cause d’un cauchemar, parce que ton interprétation en est fausse.

- Non, Jack ! Tu te trompes lourdement. Je ne suis pas fort, c’est seulement l’apparence que je veux donner. Et crois-moi sur parole, j’y parviens très facilement.

- Bordel de merde, tu as fait des choses que je n’aurais jamais imaginées. N’importe qui à ta place ne s’en serait pas sorti indemne !

- Jack ! qui te dit que je m’en suis sorti intact ? C’est ce que je me suis obligé à croire et que j’ai aussi réussi à faire croire, y compris à toi ! Je suis persuadé que tu aurais résisté bien mieux que moi, on s’adapte à tout, y compris aux situations extrêmes.

- Je n’en sais rien ! Je n’en sais rien du tout !

- Jack, tu me passes les clés de ta voiture ?

- Pour quelle raison ?

- J’ai envie de rouler vite et ta GTI est puissante ! Rends-moi ce service, s’il te plait !

- Et où vas-tu aller ?

- Je ne sais pas ! Peut-être à la recherche de mes illusions perdues …

 

Le même regard triste figeait les visages des deux hommes. Ils ne se quittaient pas des yeux, chacun ressentait la détresse de l’autre. Pour des raisons différentes, la même émotion les submergeait. Jack ne pouvait s’empêcher de secouer la tête de droite à gauche, car il sentait qu’au-delà de la situation qu’il ne maitrisait pas, il ne pouvait rien faire pour aider son ami. Quand bien même aurait-il essayé, il savait que Glen refuserait sa main tendue.

 

- Sortons, dit soudain Glen.

 

Les deux amis se levèrent en même temps, repoussant leurs chaises brutalement. Derrière son comptoir, Tarja leva la tête et son visage reflétait une grande surprise. Jack lui fit un clin d’œil amical et suivit Glen qui était déjà près de la porte. Lorsqu’ils se retrouvèrent devant le salon de thé, ils allumèrent une cigarette et restèrent quelques minutes sans parler, inspirant profondément le tabac qui leur faisait un peu tourner la tête.

 

- Glen, tu veux vraiment prendre la GTI ?

- Oui !

- Alors je viens avec toi. Tu prends le volant, mais je viens avec toi !

- Non, Jack. Je préfère être seul.

 

Jack posa alors une main sur l’épaule de son ami et l’obligea à le regarder droit dans les yeux.

 

- Glen, dis-moi ce qui ce passe. Ton rêve t’a troublé, c’est une évidence. Je suis sur qu’il y a autre chose.

- Tu me connais bien, Jack. C’est vrai, tu as raison !

- Je te tends la main, Glen ! Ne la refuse pas.

- Je sais ce que tu me proposes, mais je veux vraiment être seul.

 

En prononçant ces mots, les yeux de Glen s’embuèrent et il détourna rapidement la tête. Il pinça sa lèvre inférieure entre ses dents et il ferma les yeux durant quelques secondes. Ce bref instant lui permit de se ressaisir puis il tourna la tête vers Jack, un sourire emprunt de tristesse masquait difficilement l’émotion intense qu’il ressentait. Il savait que son ami n’était pas dupe de sa profonde détresse et il se doutait bien qu’il allait tenter de le soutenir. Il refusait de s’avouer qu’il avait besoin du réconfort moral que pas un autre homme ne pouvait lui apporter.

 

- Dis-moi Jack, tu es marié depuis combien de temps maintenant ?

- Ca doit faire bientôt douze ans. Pourquoi cette question ? lui demanda Jack un peu surpris.

- Pour rien !

- Allez Glen. Pas de ça entre nous, si tu m’as posé cette question, c’est parce que tu avais quelque chose derrière la tête.

- Non, ce n’est rien. Tu me passes les clés de ta voiture ou pas ?

- Que feras-tu si je refuse ?

- J’irais louer une voiture puissante chez Mario.

- Tu ne veux vraiment pas que je vienne avec toi ?

- Non !

- Je sais ce que tu vas faire et je n’aime pas ça du tout.

- Et que vais-je faire à ton avis ?

- Une connerie, Glen ! Tu vas faire une connerie.

- Peut-être. Ou peut-être pas !

 

Glen leva la tête comme s’il cherchait une idée dans ce ciel ensoleillé sans nuages.

 

- J’étais tranquille, j’étais chez moi ! Bon Dieu, qu’est ce qui c’est passé ?

 

Jack resta stupéfait et écarquilla grand ses yeux clairs. Il dévisagea son ami en attendant qu’il continue, mais celui-ci semblait plongé dans ses pensées, sans doute noires.

 

- Jack Holman quelques instants avant sa mort dans le monastère encerclé par les révolutionnaires communistes.

- Hein ?

- Je te raconterais ce que ça signifie une autre fois. Tu me passes les clés ?

 

A contrecœur, Jack prit les clés dans sa poche et les tendit à Glen. Il lui posa ensuite une main ferme sur l’épaule, et il l’obligea à le regarder.

 

- Glen, tu ne vas pas faire de conneries ?

- Ne t’inquiète pas.

- Dis-moi tout de même où tu vas ?

- Je te l’ai déjà dit tout à l’heure.

- Redis le moi alors !

- Retrouver mes illusions perdues au cœur des zones d’ombres de mon âme.

 

Glen tourna les talons et se dirigea vers la voiture d’une démarche nonchalante. Jack était complètement stupéfait et il resta un long moment sans bouger, jusqu’à ce que la voiture démarre dans un grand crissement de pneus sur l’asphalte.

 

- Tu ne pouvais pas t’empêcher de faire patiner l’embrayage, dit-il à voix haute.

 

Jack resta un long moment sur place à fumer cigarettes sur cigarettes. Il sentit une main se poser sur son épaule et il se dégagea un peu brutalement.

 

- Détends-toi, ce n’est que moi !

 

Il se força à sourire en reconnaissant Tarja qui le regardait avec douceur. Elle lui proposa d’entrer à nouveau dans le salon de thé, ils pourraient y parler tranquillement puisque les derniers consommateurs étaient partis. Jack accepta et il la suivit en marchant lentement. Il s’assit tandis que Tarja leur apportait deux gin fizz.

 

- Tiens, je croyais que tu ne servais pas d’alcool.

- Je fais ce que je veux, et je crois que tu as besoin d’un petit remontant.

- Entièrement vrai, ma chère Tarja !

- Bon, qu’arrive-t-il à notre Glen préféré ?

- Je n’en sais rien puisqu’il n’a rien voulu me dire. Tu sais aussi bien que moi qu’il aime bien parler par énigmes. Qu’il est le seul à comprendre, d’ailleurs.

- Tu n’as pas vu son regard, Jack ? Il était complètement ailleurs.

- Oui ! Bon, je vais y aller Tarja !

 

Jack se leva et se pencha vers la jeune femme pour lui faire une bise. Il tenta un sourire sans conviction, puis il se dirigea à pas lourds vers la porte. Une fois dehors, il respira plusieurs fois à fond puis il marcha lentement pour rentrer chez lui. A cet instant, il entendit un vrombissement de moteur et il reconnut immédiatement le son caractéristique des seize soupapes de sa propre voiture. Il s’arrêta et il fut surpris de voir Glen au volant juste à côté de lui. Son ami coupa le moteur et descendit du véhicule en lui tendant les clés.

 

- Tu reviens déjà ?

- Oui ! Enfin non. Je te ramène la Corolla, ce n’était pas une bonne idée.

- Viens avec moi, je t’invite à diner ce soir.

- Désolé, Jack. Je m’en vais.

- Où vas-tu ?

- J’en sais encore trop rien.

 

Jack fut surpris de voir les yeux rougis de son ami, il ne l’avait jamais vu montrer ainsi sa détresse et il ne savait pas quoi lui dire. Ils se regardèrent quelques instants, puis Glen frotta ses yeux et fit un petit salut de la main avant de tourner les talons.

 

- Attends Glen. Je crois que tu as besoin de moi. Reste avec moi.

- Non, Jack ! Je n’ai besoin de personne.

- Tu as oublié le jour où je t’avais appelé tant tu m’avais inquiété ?

- Bien sur que non ! Tu sais, je ne te l’ai jamais dit. Mais la veille de ton appel, j’étais resté assis un long moment. Devant moi, il y avait la bouteille de whisky pleine et les boites de médocs.

- Je sais bien ce que tu avais en tête ce soir-là. Qu’es-tu en train de me dire ? Tu es repris par cette tentation morbide ?

- Non ! Non ! Rassure-toi.

- J’ai un peu de mal à te croire. Je n’ai pas envie de te laisser seul.

- Écoute, Jack ! Il n’y a aucune raison de t’inquiéter. Je suis tendu, rien de plus.

- Non, tu sais aussi bien que moi que tu es au point de rupture. Tu n’arriveras jamais à me masquer ce qui se passe dans ta tête. Je te connais trop bien pour ne pas savoir ce que tu vas faire.

- Ah ! Et que vais-je faire à ton avis ?

- A toi de me le dire. Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes.

- Je t’appellerais, Jack.

- Quand ?

- J’en sais rien ! J’en sais foutrement rien.

- Où vas-tu ? quand vas-tu revenir ?

- Je reviendrai …. Ou je ne reviendrai pas !

- Reste avec moi ce soir, bordel de merde !

- NON !

- Pourquoi ?

- C’est ainsi ! N’insiste pas, s’il te plait.

- Tu me promets de revenir vite ?

- Peut-être … ou peut-être pas !

 

Glen partit alors d’un bon pas en laissant Jack complètement perplexe et déboussolé. Celui-ci parlait à voix haute, disant qu’il était sur que Glen reviendrait. Il essayait aussi de s’en convaincre lui-même. 



24/10/2011
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