Glen Loverdale ...

Nocturne errance ... 1

La voiture ne s’arrêta pas au feu qui était vert. Le conducteur tourna à droite et s’engagea sur la route qui traversait le bois. Une longue descente avec plusieurs virages, c’était pour cela qu’on l’appelait la côté des sept tournants. Effectivement, il y en avait bien sept ! Le passager regardait loin devant, ses pieds faisant les mêmes mouvements que ceux du conducteur, comme s’il était au volant, et qu’il appuyait sur la pédale d’accélérateur ou celle du frein. Il faisait très sombre cette nuit, la route n’était pas éclairée, mais l’automne avait déjà bien déplumée les arbres de leurs feuilles. Les branches donnaient un air sinistre, comme des bras tendus essayant d’attraper la voiture pour la détruire.

 

Arrivé en bas de la côte, Glen qui conduisait vite et prudemment, entra dans le bois en contournant le rond-point. Il était concentré sur la route et ne prêtait pas attention à Jack qui l’observait en le fixant de ses yeux noirs.

 

Glen roula encore cinq cent mètres, puis se gara sur le petit parking, à droite, ne continuant pas sur la route sinueuse qui montait plus haut dans le bois. Il coupa le moteur et retira la clé du contact. Glen et Jack sortirent en même temps de la voiture, dont ils fermèrent les portières en douceur.

 

— Tu es sur que ça va, interrogea Jack.

— Oui, ne t’inquiète pas, répondit Glen

— Je n’en suis pas sur du tout. Tu as gardé les lèvres serrées tout le trajet. Tu dois avoir confiance en moi. Si tu as besoin de vider ton sac, fais-le.

— Tu as raison, Jack. Je ne suis vraiment pas en forme. Trop de choses se bousculent dans ma tête, et je ne dors plus les nuits. Les jours, je n’arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit.

— Excuse-moi d’être direct, j’ai l’impression que tu es en pleine dépression. Tu devrais voir un médecin, tu as besoin d’aide.

— Peut-être. Mais tu connais ma position sur la question, je ne veux pas voir un psy.

— Je peux t’écouter, Glen. Je ne pourrai rien faire de plus.

—    Laisse tomber, profitons du calme de ce lieu. J’aimais venir ici, au bord de l’étang juste à côté, simplement rester assis au cœur de la nuit. Les cris des canards  qui barbotent m’ont toujours amusé.

— Et eux au moins n’ont pas de problèmes existentiels. C’est tranquille une vie de canard.

— Tu l’as dit. Viens, marchons un peu !

 

Les deux hommes se tenaient l’un près de l’autre en se dirigeant vers le plan d’eau. Les feuilles des arbres semblaient murmurer sous l’effet du vent léger de cette belle nuit d'automne. La lune était pleine et semblait observer Jack et Glen qui avançaient en regardant tous deux droit devant eux.

 

— Glen, je peux te poser une question ?

— Demande toujours, je répondrais peut-être ou pas.

— Bordel de merde, tu vas jamais le casser ce foutu pot !

— Quel pot ?

— Arrête, Glen. Tu sais exactement à quoi je fais allusion.

— Exact. Et après ?

— Bon, je vais aller droit au but puisque tu m’y obliges. Tu as des regrets ? Du remords ?

— A ton avis ? questions qui n’attendent pas de réponses, Jack !

 

Glen s’arrêta soudain, son ami ne s’en rendit pas compte tout de suite. Jack se tourna vers Glen en se demandant ce qui pouvait bien le mettre dans cet état. En voyant le regard hagard de Glen, il comprit de quoi il retournait.

 

— Tu plonges encore dans le passé, affirma-t-il.

— Je ne sais pas, Jack. Tiens les clés de la voiture, laisse-moi seul.

— Et comment vas-tu rentrer chez toi ?

— A pied, j’aime bien marcher la nuit.

— Tu es prêt à faire presque dix kilomètres pour regagner ta maison ?

— Bah oui ! quelle question. Tu sais, je l’ai déjà fait !

— Pas ce soir, Glen. Je veux rester avec toi, et on repart ensemble, dès que tu le souhaites.

 

Le visage de Glen se durcit soudain et ses yeux fixaient durement celui qu’il considérait comme son meilleur ami. Il ne savait plus trop pourquoi il avait voulu venir ici, mais maintenant il ne souhaitait pas que Jack le voit s’effondrer. Car il sentait bien qu’il n’était pas dans son état normal, et personne ne devait le voir lorsque cela lui arrivait. Et surtout pas Jack !

 

— Écoute Jack, je veux être seul. Ne t’inquiète pas pour moi. Voilà les clés, pars maintenant. Je te le demande comme un service personnel.

— Ok, Glen. Si c’est ce que tu souhaites. Mon téléphone portable restera allumé, appelle moi quand tu veux et je reviens. Ok ?

— Oki doki ! ça marche. A plus tard, mon ami.

 

Jack prit les clés et repartit vers le véhicule, se tournant plusieurs fois pour voir ce que faisait Glen. Il obéissait à son ami, mais il n’avait pas l’esprit tranquille. En se mettant au volant, il attendit un moment avant de mettre le contact, il espérait que Glen revienne sur sa décision. De longues minutes passèrent et il se décida finalement à partir.

 

Glen s’assit au bord de l’étang, le regard vide, il ne ressentait rien, son esprit était vide de tout. Il s’étendit sur l’herbe humide, ne ressentant même pas la fraicheur de la nuit et du vent nocturne qui se levait. Seul au milieu des arbres de la forêt, il avait envie de hurler le même mot sans jamais s’arrêter : « Pourquoi ! Pourquoi ! Pourquoi ! ».

 

Se ressaisissant, il se redressa lentement et se demanda un bref instant où il se trouvait. Il se souvint alors du trajet en voiture avec Jack et son envie de venir prendre l’air ici avec son ami. Il se rappela aussi avoir demandé à Jack de le laisser seul.

 

Qu’ai-je fait de ma vie ? Je ne sais pas pourquoi j’ai la sensation étrange d’être Knulp, ce personnage d’un roman de Hermann Hesse. J’ai laissé passé ma chance une fois, rien qu’une seule fois, et ensuite tout s’est enchaîné sans que je n’y comprenne rien. Pourtant, les décisions je les ai prises, les choix je les ai faits. Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est parce que c’était mon destin. Le destin ? Quelle connerie ce mot ! Il n’a aucun sens. Ca voudrait dire que ma vie était déterminée à l’avance ? Arrête avec ton égo surdimensionné, mon pauvre Glen. Tu n’es pas aussi con que tu en as l’air, tu es vraiment con. Assume tes conneries, bordel de merde. Tu fais du mal à celles et ceux que tu crois aimer. As-tu déjà oublié les larmes que tu as fait couler ? Celle de la femme que tu aimais, et que tu aimes encore ? C’était pourtant pas compliqué, il suffisait d’ouvrir tes yeux. Mais pour ça, il aurait fallu que tu cesses de croire que tu avais toujours raison. Tu n’avais aucune raison d’imposer ta rigidité psychologique. Tu te dis ouvert d’esprit, attentif aux autres ? Fallait le prouver quand tu en as eu les occasions. Car tu en as eu des tonnes d’occasions, mais tu es vraiment trop con.

 

Après ce monologue silencieux, Glen s’étendit à nouveau sur l’herbe et ferma les yeux. Il sentait le froid engoudir ses mains puis l’envelopper complètement. Il eut envie de se lever mais il ne le fit pas. Une douce torpeur l’envahissait et il espera que la mort viendrait le prendre cette nuit. Il n’avait pas peur de grand-chose. Ou plutôt si, il ressentait la peur, mais il savait y faire face. La seule chose qui le terrifiait dans la mort, c’est la douleur qui peut l’accompagner. Cela, il ne se sentait pas prêt à y faire face. Mais pour l’heure, il sombrait dans un pseudo sommeil, son cerveau torturé tournant à pleine vitesse. Il ne savait plus comment affronter la réalité, SA réalité. Et cela le troublait au plus haut point. Tout le monde le croyait dur comme un roc, lui seul savait qu’il n’en était pas un. C’était tellement facile de donner cette apparence de force, celle sur laquelle tout glisse, sans laisser de traces. Pourtant, les blessures secrètes s’étaient accumulées depuis des années, il les effaçait de sa mémoire comme on chasse une mouche qui vole autour de son visage. Ce qui le surprenait beaucoup, c’était le fait que ses blessures psychologiques et physiques, subies depuis tant de temps, ne marquaient pas son visage.

 

Un vrombissement de moteur de voiture le tira de sa léthargie, il tourna la tête vers la source du bruit et ne fut même pas ébloui par les pleins phares allumés du véhicule.

 

« Meme ici, je ne suis pas tranquille. Il fallait qu’un connard vienne m’emmerder ! », dit-il à voix haute.

 



14/11/2011
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