Glen Loverdale ...

Mélodie nocturne

Assis l’un en face de l’autre, Glen et Jérôme se regardaient. Ils se souvenaient du  passé, les bons moments vécus ensemble. Glen avait fait voler en éclats leur belle amitié, alors même qu’il considérait Jérôme comme un frère. Pendant ces années de silence, aucun des deux n’avait fait la moindre tentative de rapprochement. Jérôme avait subi sa mise à l’écart brutale de la vie de Glen. Cela avait été dur pour tous deux de s’apercevoir que la force de leur amitié n’avait pas résisté à ce qu’ils appelaient l’épreuve du feu. Lorsque Glen avait pris l’initiative de contacter Jérôme, il était persuadé que son ancien ami se murerait dans le silence. Il lui avait envoyé un message électronique, en précisant avoir effacé le numéro de téléphone de Jérôme, ainsi il ne pourrait pas l’appeler même s’il en avait ressenti le besoin et l’envie. Il avait longtemps réfléchi avant de prendre sa décision. Il se souvenait du mur de l’incompréhension mutuelle qui avait conduit à la fin de leur amitié. Dix ans d’amitié et de complicités effacées en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Quelques jours plus tard, le téléphone de Glen sonna mais le numéro qui s’affichait était inconnu. Il répondit et fut surpris d’entendre cette voix qu’il connaissait si bien. Le ton de leur conversation n’était pas glacial mais chacun restait sur ses gardes. Le passé était à la fois si proche et si lointain. Ils échangèrent des nouvelles de leurs vies respectives et convinrent de se revoir. C’était donc ce soir qu’ils se retrouvaient et ils s’embrassèrent comme deux frères. Comme avant !

Le choix du restaurant n’avait aucune importance puisqu’ils voulaient tenter de reconstruire l’amitié brisée. La conversation fut banale sans l’être car chacun d’eux essayait de résumer en quelques phrases ce qu’avait été sa vie durant leurs années de silence. La tension palpable au début de leurs retrouvailles s’estompait peu à peu, laissant place à la confiance telle qu’elle existait auparavant. Il y eut des silences où leurs regards en disaient plus longs que les mots ne le pourront jamais. La sincérité d’un regard, l’authenticité des sourires sont plus intenses que la parole. Parfois, les lèvres ébauchent un sourire qu’on ne retrouve pas dans les yeux et le regard. La joie de Jérôme et Glen n’était pas simulé, ils réussissaient à faire renaître le feu de l’amitié. On dit que le feu de l’amitié ne brûle pas. Cela peut revêtir plusieurs significations contradictoires mais Glen avait expliqué le sens qu’il donnait à ces mots d’Hugo Pratt. Sur ce point, Jérôme était absolument en phase avec lui.

En sortant du restaurant, légèrement éméchés sans être ivres, ils décidèrent de marcher dans Paris. Il faisait encore jour par cette belle soirée d’été et le ciel était lentement recouvert du voile noir de la nuit. Ils allumèrent une cigarette en marchant en silence.

- Tu as eu des mots très durs, Glen, dit Jérôme en prenant la décision de mettre le passé à plat.

- Je sais, Jérôme. Je sais. J’étais dans un état d’esprit où je voyais tout en noir. Notre amitié faisait partie du passé et j’ai conscience de t’avoir fait mal lorsque j’ai eu des mots cinglants pour toi.

- Je ne voulais pas te perdre et je t’avais laissé le temps de la réflexion. Ma porte n’était pas fermée mais tu avais refusé toutes mes timides tentatives pour qu’on tente de se retrouver, malgré tout.

- Pour moi, tu étais devenu un inconnu. Un homme que j’avais effacé de ma mémoire.

- Paul n’a jamais compris les raisons de ton agressivité à son égard. Moi, je n’ai pas saisi ce qui te poussait à me haïr avec tant de force.

- Ecoute-moi, Jérôme, je ne veux plus jamais entendre parler de lui. C’est ton meilleur ami mais il n’est plus rien pour moi. Toi et moi, on est ensemble ce soir pour redevenir amis

- Pareil pour moi, Glen. Pourtant, Eric voulait t’aider ! C’est aussi pour ce que tu lui as dit que j’éprouvais du ressentiment vis-à-vis de toi.

- Parlons-en de son aide. Je ne lui avais rien demandé et son aide n’a fait qu’empirer les choses.

- Il pensait bien faire, Glen.

- Pardon ? Tu peux répéter cela ?

- Il pensait bien faire, c’est tout.

- Ouais ! Il pensait mal, il s’est planté. D’un autre côté, cela a juste accéléré le fiasco annoncé.

- C’est un mec bien, crois-moi.

- Jérôme, je n’ai pas envie de parler de lui. Pour moi, il est mort et je n’ai aucune envie de le revoir.

- C’est pareil pour lui, Glen !

- Alors c’est parfait, on est en phase là-dessus. L’important est qu’on soit ensemble, toi et moi. Le reste …

- Je peux te poser une question, Glen ? Tu m’avais dit quelque chose que je n’ai jamais compris. J’y ai longtemps réfléchi sans jamais savoir ce que signifiaient tes mots. Avant d’effacer notre amitié, tu affirmais attendre quelque chose de moi, qui n’est jamais venue. Aujourd’hui encore, je ne vois pas de quoi il peut s’agir.

Glen se souvenait parfaitement de ce que venait de lui rappeler Jérôme. Il savait exactement ce qu’il attendait et qui n’était jamais venu. Cela ne servait à rien de revenir là-dessus maintenant. Si Glen donnait les explications attendues, cela ternirait leurs retrouvailles. Et il ne voulait à aucun prix que la renaissance de l’amitié soit estompée par ce retour en arrière.

- Je ne me souviens plus, répondit Glen.

- Pourtant ça semblait vraiment avoir de l’importance pour toi. Je me suis posé la question en boucle, je ne savais pas. Je me remettais en question en me demandant ce que tu attendais et que je ne comprenais pas pour te le donner.

- Jérôme, oublions ça si tu veux bien. Je ne m’en rappelle vraiment pas.

 

Les deux hommes se turent et allumèrent une cigarette. Face à face, les yeux dans les yeux, ils avaient tous deux un regard triste. Ils prenaient brutalement conscience d’avoir perdu ces années d’amitié et d’estime réciproques pour rien.

 

- Comment se passe ton divorce, Jérôme ?

- Pas dans les meilleures conditions. Je sais qu’elle a mal mais on ne peut pas écoper un bateau qui prend l’eau parce que sa coque est percée.

- Je comprends, Jérôme. Je l’aimais bien mais elle me mettait mal à l’aise.

- Pourquoi donc ? Interrogea Jérôme totalement pris au dépourvu.

- Au début de ta relation avec elle, c’était une jeune femme effacée et timide. Elle ne parlait jamais et elle n’osait pas me regarder en face. Pourtant, j’essayais de la dérider avec mes clowneries.

- Elle était dans une relation de dépendance avec moi, quand je me suis mis avec elle. Je l’aimais mais il fallait que je gère tout, elle en était incapable.

- Ne sois pas trop dur, Jérôme. Tu connaissais son passé et tu savais que ce ne serait pas facile. J’ai vu une évolution importante chez elle et ça m’avait vraiment sidéré.

- C’était à quel moment, Glen ?

- Au cours de la semaine que j’ai passé chez toi, avec Anne.

- Vas-y mon Glen. Tu peux tout me dire. Tu as toujours gardé mon estime et mon amitié.

- Pareil pour moi, Jérôme. Pareil !

- Dis-moi ce que tu as senti du changement chez Rachel, s’il te plait.

- Tu te souviens du clash entre Anne et moi, le soir de notre arrivée à Saint-Etienne ?

- Oui, j’avais pris Anne à part en sortant de la maison. Tu étais resté dans le salon avec Rachel, c’est bien ça ?

- Oui ! Ce n’était pas simple avec Anne. Je ne parvenais pas gérer la situation avec les deux gamines et son ex. En fait, je savais ce que je voulais mais Anne n’y était pas prête.

- Tu avais dit des choses très dures à Anne, ça je m’en souviens bien. J’en avais les larmes aux yeux de voir ta fermeté et ton intransigeance vis-à-vis d’elle.

- Je ne vais pas revenir là-dessus, Jérôme. J’aimais Anne au début mais je sentais qu’il fallait que je la quitte. Pour son bien et le mien. Mais je suis resté par emErichie parce que j’avais peur qu’elle se foute en l’air. Et cette responsabilité, je ne pouvais pas l’assumer.

- Tu avais pourtant bien géré ses deux tentatives de suicide. Elle en avait fait deux, non ?

- Oui, Jérôme. On ne gère pas les tentatives de suicide. On est dans l’action, pas le temps de réfléchir, il faut agir. Action – Réaction ! Putain de merde, deux tentatives en moins de quarante huit heures. J’étais en état de choc mais il fallait s’occuper d’elle. Bon, je te dis ce que j’ai vu de Rachel. Ok ?

- Oui, répondit Jérôme, conscient que son ami replongeait dans ses zones d’ombre.

- Quand j’étais seul avec Rachel, elle me parlait avec une maturité que je ne lui connaissais pas. La femme timide, complexée était devenue vraiment très forte. Et puis, les jours suivants, je voyais comment elle se comportait avec toi. Elle avait pris l’ascendant, peut-être était-ce lié au fait qu’elle était enceinte. Mais je ne pense pas qu’il n’y avait que cela. Elle avait pris le pouvoir mais elle en abusait. Je faisais semblant de ne pas entendre ni voir, pourtant je la trouvais très dure. Elle savait ce qu’elle voulait et il fallait qu’elle l’obtienne. Toi tu te rebellais mais tu finissais toujours par céder. J’avais l’impression qu’elle prenait sa revanche sur toi, toutes ses années où tu la dominais intellectuellement.

- C’est assez juste, Glen. Tu vois, je ne peux pas avoir ce genre de discussion avec Eric. Il n’y a qu’avec toi que c’est possible. Tu m’écoutes sans me juger ni me donner de conseils.

- Je n’ai pas à te donner de conseils, Jérôme. Je te dis juste ce que je ressens sans te donner la marche à suivre. Je n’ai aucune raison de t’imposer une voie à suivre, juste à te donner mon éclairage. Il vaut ce qu’il vaut et tu en fais ce que tu veux.

- Merci, Glen !

- Non ! Non ! Pas de remerciement, s’il te plait. Quand quelqu’un est à terre on a plusieurs possibilités. On peut lui expliquer pourquoi il est tombé mais ça ne sert à rien, il est déjà au plus mal. On peut lui dire ce qu’il doit faire, selon notre propre vision, mais ce serait lui imposer un chemin qui n’est pas le sien.

- Tu es dans le vrai, Glen. Je …

- Attends Jérôme, je n’ai pas fini !

- Ok, je t’écoute.

- Il y a une autre possibilité, qui est ma manière de faire. Je tends la main pour aider l’homme ou la femme à terre à se relever. Rien de plus, rien de moins.

- On en reparlera une autre fois, si tu veux bien. Je n’ai pas envie de penser à Rachel, au divorce et au mal-être qui attend mes deux garçons.

- Ils sont beaux tes fils, Jérôme. Je ne les ai vus que deux fois, putain ce qu’ils sont vifs !

- Glen, on va prendre un verre quelque part ?

Glen acquiesça et les deux hommes marchèrent côte à côte, presque épaule contre épaule, sans ressentir le besoin de parler. Ils s’installèrent en terrasse pour pouvoir fumer leurs cigarettes. Lorsque le serveur vint prendre la commande, Glen demanda un Gin Fizz et Jérôme prit un whisky. Les deux hommes éclatèrent de rire, cela leur rappelait la première fois qu’ils avaient bue ensemble, au point d’être bien allumés. Ils ne parlèrent plus jusqu’à ce que les consommations soient servies. Alors ils trinquèrent en se regardant dans les yeux.  

- J’ai parlé avec Phil en messagerie privée sur Facebook.

- Phil ? Qui est-ce ?

- Mon meilleur ami que je connais depuis presque trente ans. Toi aussi tu es mon meilleur pote, mais c’est différent avec Phil. Lui, c’est un mec comme on n’en rencontre qu’un ou deux dans une vie.

- C’est l’homme avec qui tu as fait les quatre cent coups ? Interrogea Jérôme troublé par la remarque de Glen.

- Oui. J’étais jeune et on a fait pas mal de conneries. Je t’en dirai plus sur lui, une autre fois.

- C’est avec lui que tu fumais du …

- Haschich ? Oui ! Mais c’était au-delà de la fumette, tu sais.

- Je n’ai jamais touché à ça. Ca fait quel effet ?

- Ca dépend !

- C’est-à-dire ?

- Si tu te sens bien et que tu fumes, tu te sentiras encore mieux. Ce n’est pas comme l’alcool. Par contre, si tu es dans une période sombre et que tu es mal psychologiquement, la descente va être rude.

- Je ne sais pas, je n’en ai jamais pris, Glen.

- Ca fait un bail que j’ai arrêté ça, tu sais. Quand j’étais en régiment disciplinaire, je n’ai jamais vu autant de haschich de ma vie. Puis quand j’ai fait mon temps, j’ai fumé presque tous les jours pendant deux ans. Avec des potes et souvent juste avec Phil.

- C’est une manière de prendre la fuite, non ?

- Peut-être, Jérôme. Peut-être. Cette année à Speyer a été la plus dure de toute ma vie. Elle a changé quelque chose en moi, très profondément.

Glen se tut, troublé de replonger dans ce passé lointain. Seulement, s’il n’avait pas vécu cette expérience ou leçon de vie, il aurait été un tout autre homme. Depuis, plus rien n’avait d’importance. Il avait gravi l’ascenseur social en devenant souvent incontournable dans les entreprises où il apportait ses compétences. Il parlait d’égal à égal avec les PDG, les Directeurs généraux adjoints, les chefs de Département. Il était techniquement très bon mais il se faisait toujours virer, parce que les électrons libres ne sont jamais appréciés. On les presse comme des citrons, en leur donnant des rémunérations conséquentes, mais on finit toujours par s’en débarrasser plus ou moins brutalement. Ces règles du jeu, Glen les connaissait et les utilisait.

- Et ton pote Phil ? Demanda Jérôme qui sentait que Glen était ailleurs, le visage figé et le regard dans le vide.

- Ah oui ! répondit Glen. Je quitterai la France un jour et je m’installerai définitivement en Nouvelle Calédonie.

- Bientôt ?

- Non pas dans l’immédiat. Phil me propose de le rejoindre. Il est en instance de divorce lui aussi. Et pourtant, Nath et lui, c’est la plus belle histoire d’amour que j’ai vu. J’ai connu Phil quelques années avant qu’il rencontre Nath.

- Tu as vraiment envie de finir tes jours là-bas ? Parce que c’est ça finalement, non ?

- Oui, c’est ça Jérôme. Je n’ai plus grand-chose à faire ici.

- On ne se reverra plus alors ?

- Pourquoi Jérôme ? Bon, Phil n’est plus revenu en métropole excepté pour l’enterrement de sa mère.

- Et toi, Glen ? Ta famille ? Tes potes ?

- On verra, répondit Glen d’une voix éteinte.

Jérôme posa sa main sur l’épaule de Glen et lui sourit. Le regard ailleurs, Glen ressentit la pression sur son épaule et se tourna vers son ami.

- Jérôme, on ne se perd plus ! Ok ?

- Cela ne tient qu’à toi, Glen !

- Je sais …

- Tu ne m’as jamais perdu, Glen. Jamais !

 

La soirée se poursuivit encore un peu, avant qu’il ne se sépare. Ils savaient qu’ils avaient réussi à rallumer le feu de leur amitié.



13/09/2015
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