Glen Loverdale ...

Le soleil meurt à dix ans

A dix ans, dans la cour de récréation, les garçons jouent aux billes. Ou aux cowboys et aux indiens. C’était une autre époque, celle où portables, ordinateurs, tablettes, facebook, console de jeux, wifi, wii … n’existaient pas !

Dans les jeux de guerre, les enfants tiraient avec de faux pistolets. Le pouce et l’index dans une position ressemblant à une arme, pour tirer avec, comme dans les westerns en noir et blanc (la télévision couleur et les écrans plats n’existaient) diffusés sur une des deux chaînes de télévision. 

Un jour, un camarade de classe ne vint pas à l’école. Son absence dura plusieurs jours mais des nouvelles étaient données par les copains résidant près de chez lui. Quelques jours avant son absence, un matin dans la cour de récréation avant la classe, Glen lui avait dit : « Pauvre type ». Stupidement et sans aucune raison.

Trente cinq ans plus tard, Glen se souvient parfaitement du visage de son copain, à qui il avait fait du mal avec ses mots durs. Il le voit répondre, ses cheveux noirs aux épaules, ses grands yeux bleus écarquillés de stupeur : « Pourquoi tu me dis que je suis un pauvre type ? ». Glen se rendit compte de sa sottise et le pouvoir destructeur des mots, il resta sans voix en rougissant de honte.

Les enfants savaient que leur camarade était hospitalisé et souffrait énormément physiquement. Ce matin-là, c’était le printemps, la classe était illuminée par le soleil. L’institutrice était sévère mais juste et inspirait crainte et respect. Durant le cours de mathématiques, la directrice de l’école frappa à la porte et appela l’institutrice pour lui parler dans le couloir.

D’habitude, les écoliers chahutaient dans ce genre de situation puis faisaient un grand silence au retour de la maîtresse. Pas ce jour-là, ils sentaient qu’il se passait quelque chose d’anormal. Sans savoir pourquoi, ils se tenaient cois et étaient tendus. L’institutrice poussa un long  cri déchirant, ses sanglots résonnent encore dans la tête de Glen.

« Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai », répétait-elle sans cesse entre deux sanglots.

Quelques minutes plus tard, elle reprit sa place à son bureau, après avoir essayé d’essuyer les larmes qui avaient inondés son visage, ses yeux rougis par ses pleurs.

 « Dominique est mort », annonça-t-elle d’une voix éteinte. Les enfants ne savaient pas encore ce qu’était la mort. Dans leurs jeux, ils mouraient tués par un pistolet factice, puis se relevaient. On mourait « pour de faux ». La classe était muette de stupéfaction, les enfants comprenant juste qu’ils ne reverraient plus jamais Dominique, son sourire, sa joie de vivre. Etrangement, après toutes ses années, Glen se souvient sans hésitation du nom de famille de Dominique. C’est aussi le seul visage du passé qui apparaît immédiatement avec netteté. 

De nos jours, lorsqu’un tel drame survient, une cellule de soutien psychologique est mise en place. Pas à cette époque ou les enfants se débrouilleraient seuls en découvrant brutalement que le soleil meurt à dix ans !

L’institutrice et la directrice de l’école eurent une idée : la classe de Dominique assisterait à son enterrement. Cela partait d’un bon sentiment mais était-ce une bonne idée ? Pour la cérémonie, à l’église, les enfants mirent tous leurs plus beaux habits, pour rendre hommage au camarade aimé et disparu à jamais. 

Tout au fond de l’église, les enfants étaient mal à l’aise, tendus, tandis que la famille de Dominique les observait. Certains regards étaient noirs et durs, accusateurs, parce qu’ils étaient vivants et pas Dominique. 

Lorsque les hommes des pompes funèbres s’approchèrent du petit cercueil, une femme, une tante de Dominique, se précipita en hurlant et pleurant. Ses cris déchirants bouleversaient tout le monde, elle refusait d’admettre la disparition de son neveu en hurlant qu’il n’était pas mort, qu’il fallait le sortir du cercueil. D’autres membres de la famille l’écartèrent en douceur, ils restaient dignes dans la terrible douleur qui les frappait.  

Au moment où le cortège se dirigeait vers la sortie de l’église, la femme s’arrêta près des camarades de classe de son neveu. « Pourquoi Dominique et pas un de ceux-là », gémissait-elle. Les enfants, âgés de dix ou onze ans blêmirent, leurs visages étaient blancs comme un linge. Ils se sentaient coupables d’être vivants.

Le souvenir de Dominique n’a jamais quitté Glen. Il avait retrouvé un copain d’enfance, perdu de vue à la fin de l’année scolaire où Dominique était « monté au ciel ». Trente cinq ans plus tard, c’est une des premières choses dont ils parlèrent. Ils n’avaient jamais oublié, ni l’un ni l’autre, marqués à vie par l’intrusion de la mort dans leur enfance.  

Quelques semaines après la disparition de Dominique, Glen ne savait pas que les  médecins ne lui donneraient pas plus d’une chance de survie sur mille. Un médecin avait même conseillé à ses parents de le garder à la maison jusqu’à sa mort. Mais cela est une autre histoire !

Glen avait longtemps eu peur de la mort. A l’adolescence, il en passait même des nuits blanches. Il n’avait jamais oublié que le soleil meurt à dix ans.



18/09/2015
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