Glen Loverdale ...

La nuit des lueurs

Les pneus surchauffés du puissant véhicule semblaient glisser sur cette longue route de campagne déserte. La lueur des pleins phares ne suffisait pas à assurer une visibilité correcte. Pourtant, le conducteur ne ralentissait pas dans les virages, il lâchait à peine l’accélérateur pour relancer le moteur dès qu’il entrait dans la courbe.

 

          ─ Ralentis, Glen !

          ─ Pourquoi, tu as peur, Jack ?

          ─ Tu roules à deux cent kilomètres à l’heure en pleine nuit, sans aucune visibilité !

          ─ Et alors ? Tu sais bien que je suis nyctalope, tu ne t’en souviens plus ?

          ─ Ok, si tu veux nous tuer, libre à toi.

 

Glen tourna son visage vers Jack un bref instant, avant de se concentrer à nouveau sur la route et la conduite du puissant véhicule. Comprenant que son ami avait vraiment peur, il ralentit pour revenir à une vitesse plus raisonnable.

 

          ─ Tu es content, Jack ? Je suis une vraie petite mère pour toi. Allons, détends-toi !

Jack préféra se murer dans un profond silence, tout en fixant la route devant lui à travers le pare-brise. Il regardait sans voir, ne faisant plus attention à Glen qui lui jetait de rapides coups d’œil à la dérobée, tout en maîtrisant parfaitement la voiture au moteur sur-gonflé. Jack plissa soudain les yeux pour mieux regarder ce qu’il voyait, profondément surpris par l’étrange spectacle qui se déroulait juste devant, un peu plus loin.

          ─ Arrête-toi, Glen ! Dit-il d’une voix faible en articulant à peine.

A ces mots, Glen ralentit instinctivement et tourna la tête vers son ami.

          ─ Que se passe-t-il, Jack ?

          ─ Regarde ces lueurs au loin !

          ─ Et alors, ce sont juste les éoliennes, tu sais bien qu’on voit toujours ces lumières rouges la nuit. Ce ne sont que des éoliennes !

          ─ D’accord ! D’accord ! Alors tu peux sans doute m’expliquer pourquoi ces lueurs sont bleues, jaunes et vertes ? Rétorqua Jack d’une voix morne.

 

Glen regarda plus attentivement et vit que son ami avait raison, ce n’était pas normal. Il ralentit progressivement en utilisant le frein moteur, puis il immobilisa le véhicule en douceur sur le bord de la route déserte. Il devait être à peu près deux heures du matin. Même en plein jour, il y avait très peu d’usagers sur cette route à l’écart de toute habitation, de toute vie. Les deux hommes sortirent de l’habitacle pour observer plus attentivement l’étrange phénomène. Une violente averse tomba soudain, donnant un climat surréaliste dans ce cadre perdu au milieu de nulle part. Ils étaient impassibles, insensibles à la pluie qui les trempa de la tête aux pieds en quelques minutes, avant de cesser aussi vite qu’elle était arrivée. Jack rompit enfin le silence pour déclarer que la route se serait transformée en véritable savonnette, s’ils avaient continué à rouler.

 

          ─ Glen, que fait-on maintenant ? On reprend la route ou on s’approche pour voir ce que c’est ?

          ─ On va reprendre la route, ça ne sert à rien de se faire une fausse frayeur pour ces lumières.

          ─ Ok ! mais ça me paraît tout de même un peu trop près du château !

          ─ Quel château ?

          ─ Tu es sûr que ça va bien, Glen ? Le château où on se rend pour y passer la nuit ! La où on a été invité par Tarja !

          ─ Ah, oui ! Exact. Je n’y pensais plus.

          ─ Décidément, tu m’impressionneras toujours mon petit Glen !

          ─ Le jour où je ne t’impressionnerais plus, je serais mort, ou pire en pleine dépression.

          ─ Toi en dépression ? Je n’y crois pas une seule seconde !

          ─ Ah bon ? Et pourquoi donc ?

          ─ Tu es équilibré, fort et rien ne peut t’atteindre.

          ─ C’est l’impression que je te donne, Jack ? C’est ce que tu penses ? Vraiment ?

          ─ Ben oui !

          ─ Pourquoi pas après tout ! Tu sais tout de même que tu peux te tromper du tout au tout sur mon compte ?

          ─ Oui, sans doute. Mais je ne t’imagine pas plonger dans la dépression.

          ─ Ok ! On en reparlera le jour où ça arrivera. Tu penseras à me rappeler ce que je viens de te dire … le jour où ça arrivera !

          ─ J’ai du mal à te suivre, Glen. Tu as un comportement étrange depuis quelques jours.

          ─ Oui, je sais. C’est aussi ce que je me dis. Mais inutile de te faire du mouron, ça n’en vaut pas la peine.

          ─ Bon, et si on y allait maintenant ? La pluie vient juste de s’arrêter et ces lueurs sont toujours là, qu’on reste ici ou pas, ça ne changera rien !

 

Les deux hommes reprirent place dans la voiture, Glen mit le contact et démarra le moteur. Il embraya en douceur puis accéléra progressivement pour reprendre un rythme de croisière. Cette fois, il stabilisa sa vitesse à une allure beaucoup moins élevée sur cette route en rase campagne. Ils s’étaient arrêtés pour pas grand-chose, finalement.

 

          ─ Dis-moi Glen, ce château, c’est celui d’un marquis ?

          ─ Marquis, Comte, Duc, peu importe ! C’est le château de Tarja.

          ─ Oui, je le sais bien ! Mais j’aime bien connaître l’histoire d’une maison, et un château est une maison, particulière certes, mais ça reste néanmoins une demeure habitable.

          ─ Tu sais quoi, Jack ?

          ─ Non. Dis-moi ?

          ─ Personnellement, je m’en fiche.

 

Jack observa son ami du coin de l’œil en tournant légèrement la tête vers le conducteur. Décidément, Glen avait vraiment des réactions étranges depuis plusieurs jours. Jack se dit que son ami avait tout simplement du sommeil en retard, ça irait beaucoup mieux après une bonne nuit peuplée de rêves … ou de cauchemars. Au fur et à mesure que la voiture approchait des lueurs étranges, Jack et Glen étaient sensiblement nerveux et ils ressentaient tous deux une sensation d’angoisse. Une sensation seulement, car ils étaient trop rationnels pour croire aux forces surnaturelles, quelles qu’elles soient !

 

Au niveau des lueurs de plus en plus étincelantes, Glen regarda Jack et ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Ce bref moment d’inattention suffit pour que la voiture se déporte vers le bord de la route et monte sur le petit talus qui la séparait du champ juste derrière. Glen essaya de redresser la direction mais il n’y parvint pas correctement et le véhicule partit en travers sur plusieurs dizaines de mètres, emportée par son élan il fit ensuite plusieurs tonneaux, avant de s’immobiliser sur le toit. Les deux hommes étaient groggy et Glen reprit conscience en quelques minutes. Il parvint à ouvrir sa portière et sortit lentement en se contorsionnant. Puis, il avança à quatre pattes sur quelques mètres avant de se remettre debout sur ses pieds. Il se pencha pour regarder l’intérieur de la voiture et se rendit compte que Jack était toujours inconscient. Il fit le tour en boitant un peu, décidé à sortir son ami du véhicule posé à l’envers. A l’instant où il allait ouvrir la portière, il entendit un bruit bizarre et fut projeté brutalement en arrière. Assis sans comprendre  ce qui venait de se passer, ni comment il se trouvait dans cette position, il fixa la voiture en écarquillant les yeux de stupeur. Le moteur avait explosé et l’essence s’était enflammée, l’habitacle se transformant en piège mortel pour Jack. Glen se remit debout et malgré la violente douleur qui lui déchirait le bas du dos, il se porta au secours de son ami, toujours inconscient. Il y eut alors une seconde explosion encore plus violente que la première et le véhicule s’embrasa, rendant le sauvetage de Jack quasiment impossible. Il essaya de s’approcher mais les flammes de plus en plus hautes, l’en empêchèrent.

 

          ─ Jack ! Jack ! Hurlait-il de détresse et de terreur à la vue de son ami qui allait inévitablement périr, brûlé par les flammes infernales.

 

Il perdit connaissance et chuta lourdement sur l’asphalte de cette maudite route. Les lueurs étranges clignotaient de plus belle, comme un sapin de Noël joliment décoré, mais leurs danse nocturne voulait marquer l’euphorie d’assister à la mort d’un homme.

 

Glen reprit conscience et se redressa pour s’asseoir. Surpris de ne plus voir les lumières maléfiques, ni la voiture carbonisée dans laquelle se trouvait Jack quelques minutes auparavant, il se frotta les yeux et s’aperçut qu’il portait juste son shorty. Son corps ruisselait de sueur, il pensa alors que Tarja avait accouru pour le conduire château, elle avait sans doute dû appeler les secours pour tenter de sauver Jack d’une mort effroyable. Il observa attentivement la pièce dans laquelle il se trouvait, elle lui semblait familière. Pourtant, il était persuadé de ne jamais avoir mis les pieds au château de toute sa vie.

 

On frappa à la porte et Glen invita le visiteur mystérieux à entrer.

          ─ Glen, tu n’as plus de café ! Dit une forte voix masculine.

 

Hébété, il ouvrit la bouche en se rendant compte que Jack était l’homme qui se tenait face à lui. Il ferma les yeux puis les rouvrit pour être certain qu’il n’était pas sujet à une hallucination. Mais non, c’était bien Jack !

 

          ─  Jack, tu te rappelles ce qui nous est arrivé tout à l’heure ?

          ─  Hein ?

          ─  Oui, te souviens-tu de ce qui s’est passé cette nuit ?

          ─  Disons qu’on a un peu abusé de la bouteille, et tu es parti te coucher avant moi. C’était de la téquila et on a pas mal fumé aussi !

          ─  Tu en es sûr Jack ? Tu en es absolument certain ?

          ─  Oh, pour ça oui. Mais ne t’inquiète pas, tu n’as pas vomi. Tu tiens encore bien l’alcool pour ton âge. Mais pourquoi cette question ?

          ─  Pour rien, répondit alors Glen.

          ─  Allez, dis-moi ! Ne te fais pas prier.

          ─  Non, pas pour l’instant. Tu veux bien me laisser seul, s’il te plait. J’ai comme qui dirait la tête à l’envers.

 

Jack écarquilla les yeux mais il recula lentement, puis il ferma doucement la porte après être sorti de la chambre de Glen.

 

          ─  Putain de cauchemar, c’était un putain de cauchemar !



20/10/2011
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