Glen Loverdale ...

Le dernier combat ...

ARRIVEE

 

La puissante voiture arriva devant l’immense salle des sports de la ville. Les deux hommes ne disaient pas un mot, l’un était concentré sur la conduite tandis que l’autre pensait à ce qui l’attendait. Ils furent tous deux surpris de voir tant de monde se diriger vers les entrées. Les gens espéraient assister à un beau spectacle.

 

Serge, le conducteur et entraîneur, fit le tour pour se garer à l’entrée réservée aux sportifs. Il coupa le moteur, les deux hommes sortirent du véhicule en refermant les portières sans les claquer. J’étais tendu et Serge s’approcha de moi, posa sa main sur mon épaule, en un geste paternel, qui se voulait rassurant.

 

Les deux hommes entrèrent dans le bâtiment et se dirigèrent vers le vestiaire qui leur était attribué. Je posai mon sac de sport et me déshabillait, restant juste avec mon shorty noir, celui qui des années plus tard, plairait tant à ma compagne. Je m’allongeais à plat ventre sur la table de massage. Les mains de Serge réchauffaient mes muscles froids et tendus, ceux des jambes, des cuisses et du dos. Ensuite, je me redressais pour revêtir mon short de combat, puis j’enfilais mes chaussures de boxe que je laçais consciencieusement. Je tendis mes avant-bras vers Serge qui enroula des bandes de protection autour de mes phalanges, pour éviter les rudes chocs qu’elles allaient sans doute encaisser. Cela fait, je mis mon peignoir de sport, aux couleurs du club. C’est seulement à ce moment-là que je mis les gants, que Serge laça aussi fermement que possible, pour qu’ils soient bien maintenus.

 

DESCENTE DANS L’ARENE

 

Avant chaque combat, Serge me conseillait de ne pas entendre les cris, les bruits de la salle, et de regarder droit devant moi, comme si j’étais seul au monde. Les deux hommes traversèrent la salle, insensibles au brouhaha qui s’élevait de plus en plus, et arrivèrent au bord du ring. J’étais le challenger, ce qui expliquait que je sois sur le ring avant mon adversaire, le champion en titre, à qui je voulais ravir la ceinture de champion d’Île de France. Dans mon coin, je bougeais la tête de droite à gauche pour détendre les muscles du cou, tout en sautillant sur place. Bien sûr, je m’étais  échauffé dans les vestiaires, mais je ne devais pas laisser les muscles refroidir. Une immense clameur parcourut alors la salle, et je n’entendais plus les derniers conseils de Serge qui me parlait pourtant au creux de l’oreille. Lorsque je vis mon adversaire monter sur le ring à son tour, je fus impressionné par sa musculature puissante. Il pesait presque le même poids que moi, et nous ne faisions pas partie, ni l’un ni l’autre, des catégories lourd, mi-lourd, coq, plume ou mouche. L’arbitre arriva à son tour au milieu du ring, et nous fit signe de s’approcher de lui. Je tendis mes deux poings gantés vers mon adversaire, qui posa délicatement les siens sur les miens, ainsi se saluent les boxeurs avant de combattre. Nous écoutâmes attentivement les consignes de l’arbitre, que nous connaissions parfaitement. Lorsqu’il s’arrêta de parler, l’autre boxeur me salua en tendant à son tour ses deux poings vers moi, et j’y posai les miens, puis nous retournâmes chacun dans notre coin.

 

PREMIER ROUND

 

Le gong retentit alors, et nous nous avançâmes l’un vers l’autre en sautillant. Nous prenions la mesure de l’autre, en lançant quelques coups peu appuyés, dans ce round d’observation. Je compris immédiatement que j’avais affaire à un gaucher, les plus difficiles à combattre, car on ne voit pas leurs coups arriver. Pour s’être déjà entraîné avec des gauchers, je savais qu’il y a un moyen de les déstabiliser, il suffit de tourner autour d’eux dans le sens des aiguilles d’une montre. Avec un droitier, on tourne dans le sens inverse. À chaque fois, l’un de mes partenaires d’entraînement, lui-même gaucher s’en irritait, en disant que cela lui donnait le vertige. Le combat commença alors vraiment, les coups s’enchaînant, tout en se protégeant d’une garde haute, de part et d’autre. Moins d’une minute après le retentissement du gong, je ne vis pas le crochet de mon adversaire, qui frappa durement ma mâchoire, juste en dessous de l’oreille. Sous l’impact, je chancelai puis tombai à terre. En me relevant immédiatement, je tournais la tête en me disant que tout allait bien. Soudain, j’eus l’impression que ma tête était un gong sur lequel un bonze aurait porté un grand coup. Mon crâne semblait prêt à exploser tant ce bruit désagréable, douloureux, me vrillait les tympans. Dans les bandes dessinées, lorsqu’un personnage est KO, le dessinateur fait apparaître des étoiles. Ce que je voyais, c’était une multitude de points lumineux qui clignotaient partout, comme un sapin de Noël.

 

L’arbitre s’approcha de moi mais j’étais encore trop groggy pour comprendre qu’il avait commencé le décompte jusqu’à 10. Quand j’entendis « 5 », je me ressaisis enfin et il me posait la même question : « Comment ça va ? Prêt à reprendre le combat » ? Il passa alors à « 6 » dans le comptage. Il était hors de question que je ne revienne pas dans le combat, et je lui affirmai que tout allait bien. Ce que je ne savais pas, c’est que les organisateurs du match voulait que les trois rounds (les boxeurs amateurs boxent toujours durant trois rounds de trois minutes, avec une minute de récupération entre chacun d’eux) aillent à son terme. L’arbitre aurait du arrêter le combat, mais il était tiraillé entre sa conscience des risques que j’allais prendre en continuant, et l’ordre des organisateurs. A « 9 », il s’écarta de moi, ce qui signifiait que le round reprenait. Mon adversaire savait parfaitement que j’étais encore KO debout, et il était prêt à faire ce que j’aurais fait à sa place. A savoir, profiter de mon avantage relatif en enchainant des coups durs et violents. En boxeur non novice, j’en avais parfaitement conscience. Je me protégeais en bloquant ses coups dans mes gants, attendant le gong de fin de round, qui me permettrait de récupérer. Les secondes me semblaient durer une éternité. Lorsque mon adversaire cognait trop fort, je m’approchais de lui et entourais son corps entre mes bras. L’arbitre nous séparait, mais je gagnais ainsi de précieuses secondes, sans prendre de crochets, directs ou uppercuts que je n’étais plus capable de parer.

 

INTERMEDE

 

Le gong retentit enfin et je regagnais mon coin, tout comme mon adversaire se dirigeais vers le sien. Je m’assis sur le tabouret tandis que Serge m’aspergeait le visage d’eau fraîche avec l’éponge. Il m’obligea à le regarder et je vis de l’inquiétude dans ses yeux. Il me dit clairement que je n’étais pas en état de reprendre le combat. Je lui affirmais le contraire en lui disant que j’avais récupéré de ce coup violent, que je n’avais pas su parer et éviter. Il me dit d’une voix forte, que je fus le seul à attendre, qu’il jetterait l’éponge pour que le second round s’arrête au moment où il le déciderait. J’acquiesçais en espérant que cela n’arriverait pas.

 

SECOND ROUND

 

Le gong retentit signifiant ainsi que le second round allait reprendre. Je me levais en même temps que mon adversaire et nous avançâmes l’un vers l’autre. J’étais parfaitement conscient de ne pas avoir complètement récupéré de mon KO debout, et je n’avais qu’un seul objectif. Celui de laisser filer ce round en me protégeant au mieux, tout en lançant quelques crochets, directs ou uppercuts. Il fallait bien en donner pour leur argent au public qui voulait voir un vrai combat de championnat, avec  un titre important en jeu. J’adoptais une garde haute en laissant venir mon adversaire, pour lui tout était simple, me forcer à ouvrir ma garde pour terminer le combat sur un KO ! En boxeur chevronné, je misais tout sur l’esquive. Ce qui signifiait simplement de bouger le haut du corps à droite et à gauche, ainsi que vers l’avant et l’arrière. Esthétiquement, ce n’est pas très joli à voir pour les spectateurs, mais terriblement efficace pour un boxeur en perdition, ce qui était mon cas. Je sentais bien que mon rival s’énervait de ma position défensive, sans lui laisser l’ouverture qu’il tentait de provoquer sans succès. Je misais aussi sur le fait qu’il allait s’épuiser à frapper dans le vide, ainsi que ses poings qui s’écraseraient dans mes gants. Ce round me parut interminable, tandis que je sentais la force et la puissance revenir en moi. Un boxeur peut aussi adopter une stratégie, surtout quand il a frôlé le KO au cours des premières secondes d’un combat. Tout en reculant pour éviter les coups de plus en plus violents, je compris que j’avais déjà perdu à ce stade du combat. En évitant un KO, j’avais déjà perdu aux points puisque mon adversaire était plus combatif et qu’il avait marqué un net avantage au premier round. Je n’entendais pas les spectateurs qui me sifflaient et m’insultaient pour la piètre prestation que je leur offrais. J’attendais uniquement le gong de fin de round, car je savais que mes chances seraient nettement plus élevées au cours du round suivant. Lorsqu’il retentit, je me dirigeais rapidement dans mon coin. Serge me massa la  nuque et m’aspergea encore d’eau glacée. Il m’encouragea de la voix en me disant que je m’en étais bien sorti. C’était tout Serge, même quand son boxeur est en passe de perdre, il sait trouver les mots pour lui redonner la force qui fait défaut ! C’est le seul entraineur que j’ai connu et je l’ai toujours admiré pour ses qualités humaines et de respect de ses boxeurs. Il me demanda de le regarder et fit un clin d’œil satisfait. Il avait compris que j’étais capable de remonter aux points lors du prochain round, qui fut annoncé par le gong retentissant pour la dernière fois.

 

DERNIER ROUND

 

J’avais décidé de prendre l’initiative dès le début de ce round. Par pure provocation envers mon adversaire, j’adoptais une garde ouverte. C'est-à-dire que mes poings sont au niveau de mon plexus solaire, les bras légèrement écartés, laissant ainsi le ventre sans défense. Pour ce genre de technique, il faut être très rapide, en remontant les bras pour protéger le visage et en serrant les avant-bras pour protéger l’abdomen. Au regard stupéfait de mon rival, j’ai compris qu’il ne comprend pas mon choix tactique. Je me rue sur lui en enchainant des séries de directs du droit, suivi d’un crochet ou d’un uppercut du gauche. Il recule face à mes assauts incessants, et ce que je souhaitais arrive enfin. Il a écarté les bras en découvrant son ventre, et je peux alors porter un uppercut au foie, puis enchainer avec un crochet au même endroit. Sous la puissance de mes coups, il recule, en ouvrant complètement sa garde, ce qui me permet de continuer mon travail sur le foie. Simplement parce que des coups au foie à répétition coupent le souffle, et c’est ce qui se produit. Je profite de mon avantage en tentant un uppercut à la mâchoire, qui atteint son but. Le champion en titre tombe et se relève vite, mais il est sonné. L’arbitre le compte jusqu’à « 5 », mais ce n’est pas pour rien qu’il a gagné le titre l’an passé. Il récupère très vite et comprend qu’il doit m’empêcher de frapper comme je viens de le faire. Au moment même où je m’élance pour profiter de l’avantage que je viens d’obtenir, le gong retentit, signifiant que le combat est terminé !

 

GONG FINAL

 

L’arbitre nous fait signe de venir près de lui, je suis à droite tandis que mon adversaire est à sa gauche. Après un coup d’œil aux juges, l’arbitre prend la main droite du champion en titre et lève son bras, il a gagné le combat. Si je n’avais pas été KO debout dès le début du match, j’aurais peut-être eu une chance de remporter le titre. Mais pas de regrets, il a été plus fort que moi. Je regagne mon coin, les épaules basses et le regard triste. Serge est passé par-dessus les cordes qui entourent le ring, il me serre dans ses bras pour me réconforter. Il ne cesse de répéter que je n’ai pas démérité, et que j’ai mené un beau combat. La chance n’a pas été au rendez-vous.

 

Je lève la tête et je lui souris tristement tandis qu’il m’observe attentivement. J’ouvre la bouche avant de prononcer les mots qu’il ne va pas aimer entendre.

—    Serge, c’est mon dernier combat !

—    Prend le temps de réfléchir, en tout cas, tu ne peux pas faire un autre combat avant plusieurs semaines, il faut que tu récupères du choc subi. Je sais combien la douleur sous ton crâne a été douloureuse.

—    Oui, je n’ai jamais eu aussi mal !

—    Repose toi quelques jours, et on en reparler lorsque tu reviendras à l’entrainement.

—    Serge, tu n’as pas compris. Je viens de mener MON dernier combat. Je viendrais prochainement aux entrainements, mais j’arrête la compétition !

—    OK ! je respecte ta décision mais prend quand même le temps nécessaire à la réflexion !

 

 

Ce fut effectivement mon dernier combat. Depuis, j’en ai mené beaucoup d’autres pour la vie, ma vie. J’en ai perdu beaucoup, mais j’en ai aussi gagné quelques uns. Mais ne dit-on pas que « qui vivra verra ? »

 

 

 

Hommage particulier

Serge,

Aucun des boxeurs que tu as formé ne t’oublieras jamais.

Tu inspirais le respect car justement tu respectais tes boxeurs

Je me souviens de ma première seance d’entrainement, et de ton sourire bienveillant.

Tu n’as jamais obligé l’un d’entre nous à faire un combat, quand tu ne le sentais pas prêt, physiquement et moralement. Grâce à toi, j’ai atteint le championnat d’ile de France, que j’ai perdu. Tu as su trouver les mots pour me faire sourire malgré cette défaite.

 

Ta bonne humeur était communicative et tu nous faisais sacrément bosser.

Pour beaucoup d’entre nous, tu nous as mené à la victoire.

Ta présence, au bord du ring, derrière les cordes, nous rassurait.

 

Au-delà de l’entraineur, c’est à l’homme que je veux rendre hommage.

Tu étais un mec bien et tu resteras à jamais dans nos cœurs et dans nos têtes.

Tu as lutté de toutes des forces contre la maladie qui te rongeait.

Tu as toujours eu la pudeur de ne rien montrer de tes douleurs.

Tu etais un modèle pour nous tous, en tant qu’homme !

 

Mes mots se mêlent dans ma tête, bousculés par tous les bons moments passés ensemble.

Puisses tu être parmi les étoiles, tu en es une toi aussi !



30/10/2011
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