Glen Loverdale ...

Au troisième étage, je vois des hommes et des femmes qui se battent. Pour vivre. Dans le grand hall illuminé par la grande baie vitrée, je vois des corps brisés et mutilés. Ce sont des hommes,  jeunes, qui vivent avec des membres en moins. Ils ne sont pas seuls, ils sont entre eux, par petits groupes. Malgré les apparences, les rires et les conversations enjoués, on ressent leurs détresses psychologiques. Et il y a un homme seul. Toujours seul. Personne ne s’approche jamais de lui. Personne ne parle avec lui. Il passe l’après midi sur un banc, dans le grand hall. Il regarde droit devant, car il sait qu’il fait peur à voir. Il n’y peut rien si ses lèvres sont enflées et rouges. Il n’y peut rien s’il n’a plus d’oreilles. Il n’y peut rien si la peau de son visage a été brûlée. Il n’y peut rien s’il n’a plus de cheveux, de cils et sourcils. Il n’y peut rien s’il a échappé à la mort en perdant la peau de son visage, reconstruit par de multiples greffes.

Je quitte régulièrement le troisième étage parce que mon corps se rappelle à mon souvenir. Quand je vois ces hommes, je relativise mes propres douleurs parce qu’elles ne sont rien à côté des leurs. C’est vrai aussi que j’aurais pu finir en fauteuil roulant comme beaucoup de ces hommes. « C’est la vie » disent-ils en riant parfois un peu trop fort. Ces mots permettent d’oublier un instant la détresse psychologique qui est la leur. Parce qu’on se rappelle toujours l’avant, même si on essaie de regarder devant. J’adorai la course à pied et je ne peux plus courir. Même si j’en ris, trop fort, je ne l’oublie pas. On ne montre pas ce qu’on ressent aux autres, on se crée une carapace faite de dérision.

Un café et une cigarette plus tard, je remonte au troisième étage pour y revoir les hommes et les femmes qui souffrent dans leurs corps, qui se battent contre la maladie et la douleur. Et je ne peux pas oublier ce que j’ai vu dans ce grand hall de verre.