Glen Loverdale ...

La dernière nuit

Dans le train, Glen pensait aux quatre jours écoulés durant lesquels il avait fait le point sur sa vie. Les deux premiers jours, le sevrage à la morphine médicale avait été éprouvant, physiquement et nerveusement. Les pensées les plus sombres envahissaient son esprit avant qu’il ne parte dans un fou rire incontrôlable. Le deuxième soir, il était allé au restaurant avec son ami, sans penser un seul instant au passé. Les deux jours suivants, il s’était mortellement ennuyé chez un autre ami. Seul dans l’appartement toute la journée, il avait pris sa décision. Elle lui semblait maintenant évidente et il ne ressentait aucun état d’âme. Dans le compartiment du train, il regardait le paysage défiler sous ses yeux. Dans quelques minutes, il la reverrait mais resterait silencieux car il n’avait plus rien à lui dire. Le trajet de la gare au château se passa dans un silence pesant que ni Glen ni cette femme ne rompait. Arrivé dans le parc du château, Glen sortit de la voiture et alluma une cigarette. Il attendrait qu’elle parte pour entrer, ce qu’elle fit presque immédiatement. Il lui souhaita une bonne soirée sans la regarder.

Glen marcha lentement vers l’entrée de l’aile du château où il résidait depuis plus d’un an. Il éclata de rire en se disant que cette femme accordait plus d’importance au paraître qu’à l’être. Il regrettait juste de s’en être aperçu trop tardivement. Le chien vint lui faire la fête tandis que le chat tournait autour de lui en se frottant à ses jambes. Dans le petit salon, il enleva sa veste puis donna à manger aux animaux de compagnie, dont l’humanité lui faisait chaud au cœur. Puis il monta à l’étage, alla à la salle de bains pour y prendre une douche. Ensuite, il passa une tenue vestimentaire décontractée pour se sentir à l’aise.

Il était vingt et une heure, il faisait encore jour en cette soirée d’été agréable. Glen ouvrit la porte pour que le chien sorte faire ses besoins. C’était aussi l’heure à laquelle le chat sortait pour sa chasse nocturne, dont il revenait au petit matin en attendant qu’on lui ouvre la porte. Le chat était sur le seuil mais il restait immobile, observant de tous côtés. Le chien allait de long en large dans le couloir de l’entrée, mais ne sortait pas. Glen était surpris par le comportement de ces deux animaux. L’atmosphère était électrique comme parcourue par des ondes invisibles et inaudibles. Glen regardait les animaux qui étaient aux aguets et sursauta quand il entendit le cri d’un animal, au loin. Ce hurlement dans le silence de la nuit qui tombait était troublant, comme s’il s’agissait d’une bête terrorisée par un danger imminent.

Glen ferma la porte, se dirigea vers le salon, suivi par le chat et le chien. Il se prépara un whisky sec avec deux glaçons, accompagné de petites choses à grignoter, puis s’assit dans le canapé. Le chat s’installa sur ses genoux tandis que le chien se couchait à ses pieds. Glen se sentait vide, ailleurs, mais enfin apaisé. Le lendemain soir, lorsqu’elle rentrerait, il partirait. Il savourait l’instant présent, laissant le whisky réchauffer son corps et lui faire agréablement tourner la tête. Il savait apprécier un bon whisky sans en abuser, il en aimait l’arôme particulier ainsi que la force de cet alcool, vieilli plus de seize ans en fûts de chêne. Touché par l’humanité du chat et du chien, il ressentait une douce euphorie l’envahir. Il ferma les yeux et laissa les rêves l’emporter. Les rêves éveillés sont les plus beaux, se disait-il. Lorsqu’il eut terminé son second whisky, le chat sauta de ses genoux sur la moquette, tandis que le chien se relevait. Glen alla leur ouvrir la porte et ils sortirent sans hésitation. Le chat, dans sa démarche féline, allait à petits pas vers le petit bois tout proche, son terrain de chasse nocturne. Le chien courut au fond du parc du château. Glen alluma une cigarette se laissant aller à la douce quiétude du whisky réchauffant son corps, ses veines. Un peu plus tard, ne voyant pas revenir le chien, il rentra pour s’allonger dans le canapé, laissant la porte ouverte. Le château, complètement isolé, était invisible la nuit, hormis sa masse sombre parfois éclairée par la lune.

Glen ouvrit les yeux, étonné de s’être assoupi. Il regarda sa montre qui indiquait quelques presque minuit. Il se leva pour boire un verre d’eau, et se rappela que la porte était restée ouverte. Ne voyant pas son chien, il fit le tour de toutes les pièces du château, étage par étage. Inquiet de l’absence du chien qui n’était pas normale, Glen sortit et marcha dans le parc en appelant son fidèle compagnon, sans succès. Il remonta les marches du perron puis entra dans la maison pour prendre les clés de la voiture. Il chercherait son chien toute la nuit si cela était nécessaire. Il roulait à faible vitesse en pleins phares, repassant en feux de croisement lorsqu’il croisait un véhicule. Vers deux heures, il avait fait le tour de toutes les routes dans un rayon de dix kilomètres. Il repartit à vive allure en direction du château, espérant que le chien était revenu. Il descendit de sa voiture, qu’il avait garée devant les marches qui donnaient accès aux salles de réception du château. Il savait instinctivement que son chien n’était pas là. Il entendit le hurlement d’un animal, le même cri déchirant qu’en début de soirée, qui avait tant perturbé le chat et le chien.

Il ressentait une peur indicible, celle d’avoir perdu son compagnon, mais il se souvint de l’étang à quelques kilomètres du château. Cela lui paraissait improbable mais il devait essayer là-bas, c’était une des dernières possibilités. Il s’installa au volant, démarra et partit en trombe. Moins de dix minutes lui furent nécessaires pour se rendre au bord du plan d’eau. Il se gara sur l’aire de stationnement et décida de faire le tour de l’étang. Mais là encore, ses recherches furent vaines. Il ouvrit la portière du véhicule et prit son paquet de cigarettes, qu’il avait posé sur le siège passager avant. Allumant sa cigarette, Glen laissa la portière ouverte et fit quelques pas en inspirant profondément. Le tabac lui fit tourner la tête mais cela n’avait aucune importance. Il vit alors une forme familière courir vers la voiture, la respiration haletante sous l’effort fourni. C’était bien son chient qui bondit et se coucha  sur le siège passager avant. Glen jeta sa cigarette, se précipita vers le véhicule et caressa son chien qui se recroquevillait sous ses caresses. Le regard tellement humain du chien exprimait une terreur absolue. Remettant le moteur en route, Glen prit la direction du château sidéré par la respiration palpitante du chien. Il remarquait quelque chose d’étrange sans parvenir à s’expliquer ce qui le perturbait. Il y avait un détail qui aurait du lui sauter aux yeux, mais son cerveau n’arrivait pas à analyser l’information.

- Tu m’as foutu une sacrée frousse, disait-il, et tu as l’air d’avoir eu la trouille de ta vie. Tu sais que je pars demain soir, je voudrais t’emmener, mais ce n’est pas possible. Tu seras mieux dans le parc du château plutôt que dans un appartement en ville.

Glen assumait sa décision de quitter cette femme, qu’il n’aimait plus depuis longtemps. Il était resté avec elle par empathie, laissant progressivement l’amour se transformer en haine, puis en indifférence. Il ne put retenir une larme coulant sur sa joue, qu’il essuya d’un geste rageur.

- Tu vas me manquer, dit-il d’une voix triste. J’espère que tu seras heureux même quand je serai parti loin d’ici.

Il regardait son chien tout en restant prudent dans sa conduite sur cette route de campagne. Le détail étrange, qu’il ne voyait toujours pas, le troublait. Il poussa un cri de surprise, le chien aux poils noirs doux avait le pelage gris. Glen fut pétrifié de stupeur par le vieillissement accéléré du chien, mais essaya de rester concentré sur la route. Il secouait la tête face à cette situation hallucinante qui le dépassait.

Arrivé au château, Glen fit sortir le chien qui vint se blottir contre lui, tout tremblant. Il parlait sans cesse pour le rassurer de sa voix familière puis le fit entrer dans la maison. A la lumière de la lampe du salon, il s’aperçut que les poils du chien étaient blancs. Sa terreur du chien avait du être ahurissante pour que cette transformation impossible puisse se produire.

Le regard vide, Glen venait de prendre une décision. Il monta à l’étage plusieurs fois pour charger sa voiture. Quand il eut terminé, il ouvrit la portière arrière et fit monter le chien. Il retourna fermer la porte de la maison puis roula lentement dans l’allée du parc. Il déposa les clés dans la boîte à lettres. Il partait sans revoir la femme avec laquelle il avait vécu. Cela n’avait plus aucune importance !



20/09/2015
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