Glen Loverdale ...

Frappe à dingues !

Je suis assis sur les marches à l’extérieur du foyer du soldat. Un homme me demande s’il peut prendre place à côté de moi. Je réponds d’un grognement pour signifier que cela ne me gêne pas. Il me propose une cigarette que j’accepte et je prends mon briquet pour allumer la sienne,  puis la mienne. Mon regard croise le sien et je n’aime pas ce que j’y lis. Il me met mal à l’aise mais je ne baisse pas les yeux, attendant qu’il le fasse en premier. Je décide de l’ignorer en fumant tranquillement ma clope.

 

- Tu es juif ? Me demande-t-il.

- Pardon ?

- Tu es juif ?

- Non, et toi ?

- Moi non plus.

- Pourquoi cette question ?

- Pour rien !

- Tu es bizarre, mec ! Comment tu t’appelles ?

- Basile, et toi ?

- Cobra.

- Comme le serpent ? Interroge-t-il ?

- Ouais, c’est ça ! Lâche-moi maintenant.

- Je t’emmerde Cobra ?

- Ouais, on va dire ça !

 

Basile se lève et se dirige la vingtième compagnie, celle à laquelle j’appartiens également. Il entre par une porte sur le côté du bâtiment, je devine qu’il est affecté au casernement. Sa carrure m’a impressionnée et je me dis que c’est exactement le genre d’homme que Bourane aime provoquer. Celui-ci est dans le défi de ceux qui sont aussi grands et forts que lui. Seulement, j’ai un mauvais pressentiment pour Basile, il ne semble pas capable de résister à Bourane. Le regard de Basile est à la fois ironique et étrange et donne le sentiment qu’il se moque de ceux qui sont face à lui. Je comprendrai plus tard qu’il est limité intellectuellement et qu’il ne cherche des noises à personne.

 

Quelques jours après ce contact bizarre avec Basile, je traverse la place d’armes pour aller au casernement. Je sors d’une garde de vingt-quatre et j’ai prévu d’aller me détendre en ville avec Bession. On va boire une bière puis marcher un peu au bord du Rhin. On aime bien parler lui et moi, tout en respirant l’odeur du fleuve. Je m’arrête devant le bâtiment de la compagnie pour fumer une cigarette en attendant mon pote. Il arrive presque aussitôt et nous traversons la place d’armes dans l’autre sens pour redevenir des hommes et non plus des militaires d’un régiment disciplinaire.

 

De la caserne au centre ville, il y a deux kilomètres de marche que nous faisons rapidement. Nous entrons dans un bar où se retrouvent essentiellement les militaires français. Nous évitons de nous mêler aux jeunes allemands, et ne sympathisons pas avec eux. La soirée se passe très bien dans le pub. Ensuite, nous nous asseyons sur un banc face à la cathédrale. Puis, vers vingt trois heures, nous prenons la direction de la caserne. Le planton de garde demande nos papiers avant de nous ouvrir la grille. Il y est tenu pour respecter les consignes de sécurité. Ma chambre est à l’étage au dessus du poste de sécurité mais je n’ai pas encore sommeil. J’accompagne donc Bession au casernement où il partage une chambre avec une vingtaine de militaires, tous affectés à l’entretien de la caserne. Je me sens privilégié d’avoir une chambre individuelle, même si je suis obligé de supporter un officier caractériel.

 

Arrivé devant la porte d’entrée de la chambre du casernement, nous sommes surpris de voir un ami de Bourane, Benito, qui nous empêche d’entrer.

 

- Je veux dormir dans ma chambre, lui dit Bession.

- Attends un peu, pas tout de suite.

- Pourquoi ? Interroge Bession.

- Bourane est occupé et il ne faut pas le déranger.

- Et alors ? Dis-je.

- Ne te mêle pas de ça, me dit Benito.

 

J’entends des bruits étranges de l’autre côté de la porte et des cris. Bession et moi, nous nous regardons puis nous fixons Benito. Celui-ci regarde droit devant lui, les yeux vides, concentrés sur l’ordre que lui a donné Bourane de ne laisser entrer personne. Soudain la porte s’ouvre brutalement et Benito s’écarte prestement. Basile avance à quatre pattes tandis que Bourane lui donne de grands coups de pieds pour le faire sortir. Basile a le visage et les mains en sang, des larmes coulent sur ses joues. Bession s’approche de lui et l’aide à se relever. J’ai compris que Bourane vient de tabasser un homme sans défense. Et cela l’a amusé si j’en juge à son visage hilare.

 

Je me plante devant Bourane que je hais et méprise. Je jette un coup d’œil rapide derrière moi et vois que Basile marche seul, sans l’aide de Bession, qui se tient quelques pas en retrait.

 

- Bourane, tu m’emmerdes ! Dis-je.

- Dégage Cobra, ça ne te regarde pas.

- Faux !

- Dégage !

- Tu te prends pour un caïd, hein ?

- Je vais t’exploser ta sale gueule, Cobra. Barre-toi !

- Nan mec, je reste !

- Tu veux accompagner ton pote à l’infirmerie ? Me dit-il d’une voix forte.

- Tu ne me fais pas peur.

- T’es aussi trouillard que les autres ! Dit-il en ricanant.

- Tu crois ça, Bourane ? Ca fait un paquet de temps que j’ai envie de me payer ta gueule.

 

J’ai une furieuse envie de me jeter sur lui mais je sais qu’il me faut attendre un peu. La règle est simple, il doit essayer de me frapper en premier. Ensuite seulement, je laisserai toute ma violence se libérer. Je sais parfaitement que je peux me faire démolir comme Basile, mais j’en suis au point où cela m’est complètement égal. Je sens deux mains puissantes se poser sur mes épaules et me tirer en arrière. Mon premier reflexe est de me tourner prêt à balancer un violent coup de poing à celui qui ose me toucher. J’arrête mon geste en m’apercevant que c’est Bession qui me fait reculer devant Bourane.

 

- Laisse-moi, Bession.

- Arrête Cobra, ça n’en vaut pas la peine, me dit-il d’une voix très calme.

- Faut que quelqu’un arrête cette merde et ce sera moi !

- Une autre fois, me dit Bession à voix basse en collant son front contre le mien et me tenant la nuque avec une main.

- Tu as vu ce qu’il a fait à Basile ?

- Oui, je sais. Viens avec moi maintenant.

- Où ça ?

- On va voir mes potes de la deuxième compagnie ! Me dit-il.

- Pourquoi ?

- Ils ont du rhum et de la zetla, ça va nous faire du bien.

- Il est où Basile ?

- Il pouvait marcher tout seul, il est allé à l’infirmerie et y restera la nuit.

 

Durant la conversation entre Bession et moi, Bourane est rentré dans la chambre du casernement. Je me calme et me décide à suivre Bession. Avec ses amis et lui, on oublie ce qui vient de se passer en buvant et fumant plus que de raison.

 

Cela fait plusieurs jours que je n’ai pas revu Basile. Depuis son passage à tabac personne ne sait où il est. Je suis étonné de le croiser en revenant de l’ordinaire où je viens de déjeuner. Je m’arrête pour lui parler mais il continue sans même me regarder. Ses yeux ne sont plus les mêmes, il y a une lueur de folie dans son regard. Je le savais fragile et un peu simple d’esprit mais là, je suis sidéré. Je n’insiste pas et ne l’appelle pas. J’ai vraiment l’impression qu’il ne me reconnait pas. Je saurai un peu plus tard qu’il a demandé à incorporer la Première Compagnie de Combat. Là où on affecte les têtes brûlées et les irrécupérables.



07/02/2013
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