Glen Loverdale ...

Etrange histoire !

Il y a bien longtemps, quarante ans pour être plus précis, la vie était différente de celle d’aujourd’hui. Les cités HLM poussaient un peu partout comme des champignons. Un petit garçon qui avait huit ans à cette époque vivait heureux dans sa famille. Il allait à l’école et faisait ses devoirs en rentrant, avant de rejoindre ses copains. Les femmes ne travaillaient pas, elles avaient bien à faire à s’occuper de toutes les tâches ménagères, de faire les courses, d’élever leurs enfants. Il y avait en moyenne trois enfants par familles, et des familles nombreuses de cinq enfants ou plus n’étaient absolument pas hors norme. Dans la cité HLM, les classes sociales mêlaient des ouvriers, des employés mais aussi des cadres. La mixité sociale n’était pas imposée car elle existait de fait. Pour les enfants, la couleur de peau, l’origine et la catégorie sociale ne représentaient aucunement des barrières culturelles et sociales. Il y avait plusieurs groupes d’enfants qui se retrouvaient en fonction de leur âge. Des enfants de dix ans ne jouaient pas avec ceux ayant huit ans, par exemple, il y avait simplement les petits et les grands.

Marc, un petit garçon, habitait au premier étage d’un des quatre bâtiments, qui avaient chacun cinq entrées. Au second étage, il y avait un couple approchant la cinquantaine avec deux grands enfants. Leur fille, à sa majorité à l’âge de vingt et un ans, avait noué des draps pour s’échapper au petit matin, désirant retrouver son petit ami que ses parents n’acceptaient pas. L’autre couple avait une petite trentaine avec un garçon ayant le même âge que Marc, ainsi qu’une petite fille plus jeune. Ces deux couples avaient sympathisé au point de passer les soirées du weekend chez l’un ou l’autre. La plus jeune des deux femmes avait une réputation de folle dans la cité. Elle passait des heures à laver son balcon à grande eau, elle achetait des petits serpents à son fils, qui s’amusait à terroriser les petites filles en leur courant après, tout en agitant les serpents. La femme plus âgée supportait mal la fugue de sa fille et en devint aigrie. Les relations entre les deux couples s’envenimèrent pour une raison sans doute banale, mais ils cessèrent de se fréquenter. Les deux hommes se saluaient poliment mais ne se parlaient plus. Par contre, les relations entre les deux femmes devinrent  nettement moins correctes, au point qu’elles s’insultaient lorsqu’elles se croisaient. Les deux maris revenant fatigués du travail n’étaient au courant de rien. Leurs épouses racontaient chacune leurs versions des faits, et les époux leur conseillèrent d’ignorer la voisine devenue une ennemie. La plus âgée des deux femmes passait ses journées entières à la fenêtre de sa cuisine, juste au dessus de l’entrée de l’immeuble. Quand sa voisine venait, elle s’amusait à lui cracher sur la tête, ce qu’elle faisait aussi avec d’autres habitants qui rentraient chez eux. La plus jeune, verte de rage, tambourinait alors à la porte de son ancienne amie tout en l’insultant. L’autre femme se gardait bien d’ouvrir sa porte. Il était évident que l’une des deux familles devrait partir, mais aucun des deux couples ne voulait céder.

Voyant la situation dégénérer en peu de temps, les deux époux ordonnèrent à leurs femmes de ne pas sortir lorsque l’autre était dans l’escalier. Mais n’étant pas présent à leur domicile en journée, ils ne savaient pas ce qui se passait. Effectivement, lorsqu’elles se croisaient dans l’escalier, elles refusaient de se laisser l’une l’autre. Cela durait à chaque fois un bon moment, puis lassée, l’une des deux se poussait tout en insultant l’autre qui feignait de l’ignorer. L’homme plus âgé recommanda à sa femme de s’allonger par terre si la plus jeune des femmes devenait plus violente, au point de vouloir la frapper. Puis, il lui suffirait de crier pour alerter les voisins, ceux-ci se porteraient alors à son secours.

Un jour, la maman de Marc dut emmener ses deux sœurs chez le médecin. Il n’avait que huit ans mais il était habitué à rester à la maison quand sa mère devait sortir pour faire les courses. Au tout début, celle-ci avait peur qu’il arrive quelque chose, que ses enfants ouvrent le gaz par exemple, mais elle avait la chance d’avoir des enfants sages, qui ne faisaient pas de bêtises en son absence. Marc était donc enfermé à double tour et il s’occupait calmement avec ses jouets. Il entendit alors des voix fortes dans l’escalier. Il s’approcha de la porte et comprit que c’étaient insultes, des cris mais il ne saisissait pas ce qui se disait. Les deux femmes étaient dans l’escalier, dans leur guerre rituelle pour ne pas céder face à l’autre. L’affrontement verbal dura un bon moment, et puis Marc entendit soudain le bruit d’un corps qui chute lourdement. Pétrifié par la peur et sa curiosité attisée, il ne bougea pas et resta derrière la porte, l’oreille tendue. Il devait être pâle mais il ne le savait pas. Un long silence pesant s’installa avant qu’il reconnaisse la voix de la femme plus âgée. Elle pleurait et gémissait tout en répétant inlassablement « Oh ma tête ! Oh ma tête ! Oh ma tête ». Marc sentit qu’elle devait souffrir, pourtant aucune des voisines  n’ouvrait sa porte pour lui porter secours. Il y avait une dizaine d’appartements dans lesquels les femmes au foyer s’occupaient de leurs enfants, de l’entretien ménage de leurs appartements, de la préparation du repas, mais elles ne firent rien. La femme gémit de plus en plus fort, appela au secours la voix entrecoupée de sanglots, mais elle était seule dans son malheur.

Marc entendit plusieurs voix d’hommes et il écouta, paralysé par la peur, derrière la porte de l’appartement. Des sons étranges lui parvenaient mais il ne savait pas que les pompiers installaient la femme âgée dans un brancard, pour la conduire à l’hôpital. Lorsque la maman de Marc revint avec ses filles, elle demanda à son fils s’il savait ce qu’il s’était passé. Il lui répondit qu’il avait  joué durant l’absence de sa mère et qu’il n’avait rien entendu du tout.

Plusieurs jours passèrent et la situation fut moins tendue entre l’homme âgé, dont la femme n’était pas revenue de l’hôpital, et ses voisins de palier. Et puis, un soir tard, quelqu’un tambourina violemment à la porte du plus jeune des couples. Une femme hurlait tout en donnant des coups de pieds dans la porte. Marc sentit une odeur étrange qu’il ne connaissait pas et il avait l’impression d’étouffer tant c’était désagréable. Intuitivement, il se dit que cela sentait le sang sans savoir pourquoi il se faisait cette réflexion étrange. La jeune femme cria de plus en plus fort en répétant sans cesse les mêmes mots : « Tu as tué ma mère, salope ! Ouvre ta porte, je vais te tuer ! ». Le père de Marc, fatigué du travail, dormait déjà. Sa femme essaya de le réveiller, mais dans un demi-sommeil, il lui dit de ne pas se mêler de ça. Personne ne sortit de son appartement pour voir et comprendre ce qui se passait. Les cris s’arrêtèrent alors car le père de la jeune femme, celle qui s’était enfuie du domicile familial, la fit rentrer chez lui. Il était effondré par la mort de sa femme et ayant besoin de paix, il réussit à calmer sa fille. La femme plus âgée se plaignait souvent de maux de tête à son mari, mais personne ne sut si elle était décédée suite à un problème au cerveau ou si elle était tout simplement morte de peur.

Quoi qu’il en soit, un procès pour homicide involontaire se tint quelques mois plus tard. Le plus jeune des deux couples avait un excellent avocat qui démonta l’accusation tout en ridiculisant tous les témoins du pauvre homme, devenu veuf. A l’issue des audiences, la jeune femme fut purement et simplement acquittée, mais cette famille déménagea dès le lendemain du jugement.

Des années plus tard, Marc n’a jamais oublié ce qui s’est passé. Cette odeur étrange qu’il a sentie pour la première fois, lorsque la jeune femme voulait massacrer celle qu’elle considérait comme la meurtrière de sa mère, il l’a retrouvé à chaque fois qu’un proche, ami ou famille, mourait ou était mourant. Il n’a jamais compris ce que cela signifiait, mais pour lui cela était l’odeur du sang et de la mort. Il s’est souvent demandé, dans sa vie d’homme, comment on pouvait passer de l’amitié à la haine, jusqu’à ce que la situation devienne si ingérable et intenable qu’elle amenait la mort. Il n’a jamais compris comment et pourquoi des êtres humains pouvaient rester indifférents au sort d’un de leur semblable, sans rien faire pour porter secours à un autre être humain !



01/02/2012
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