Glen Loverdale ...

Au loin, la fumée d’un feu guida l’homme qui fit alors aller son cheval au galop. Depuis qu’il avait quitté le village du Haut-Plateau, à la recherche de son ami Fédipe, il n’avait pas mis pied à terre. Refusant d’écouter son corps épuisé par le manque de sommeil, il avait parcouru une grande distance depuis trois jours. A chaque fois qu’il fermait les yeux, le visage de Midéle apparaissait et il secouait la tête pour que cette vision quitte son esprit. Il ne pouvait s’empêcher de penser à la trahison de Rodéric qui lui avait fait mal. Il ne savait pas s’il pardonnerait un jour, mais si cela devait être, il faudrait du temps. Beaucoup de temps.

Arrivé au village, il mit pied à terre et marcha vers un groupe d’hommes et de femmes qui l’observaient avec curiosité. Haigman fit passer la bandoulière de son sabre, fixé dans son dos, par-dessus sa tête et le déposa à terre pour montrer que ses intentions étaient pacifiques. Un des hommes avança vers lui et l’observa attentivement quelques instants.

- Bienvenue au village de la Grotte Maléfique, dit l’homme en souriant.

- Je suis Haigman du village du Haut-Plateau. Je souhaite passer la nuit ici avant de reprendre ma route qui est encore longue.

- Nous t’accueillons en ami, répondit l’homme.

- Qu’est-ce donc cette Grotte Maléfique, demanda Haigman avec curiosité et intérêt.

- Je vais te mener à la tente sous laquelle tu pourras te reposer. Je suis Madir et chef de ce village, dit l’homme en éludant la question de l’étranger.

Comprenant que le chef refusait de l’éclairer sur la raison du nom de son village, Haigman le suivit jusqu’à une tente à l’écart des autres. Celles-ci étaient alignées sur deux rangées et on pouvait en compter dix sur chaque rang. Il y avait donc peu d’habitants dans ce village isolé. Haigman alla sous la tente qu’on lui destinait et remercia son hôte qui ressortit sans un mot. Haigman s’étendit à même le sol et sombra aussitôt dans un sommeil profond. Pendant ce temps, les villageois s’occupèrent de son cheval et décidèrent de préparer un repas de fête en l’honneur de leur visiteur. Personne ne venait jamais jusqu’ici et ils souhaitaient faire bon accueil à cet homme venu de si loin.

Le sommeil de Haigman fut agité et peuplé de cauchemars dont il ne se souvint pas lorsqu’il s’éveilla. Il faisait encore jours et il comprit qu’il n’avait pas dormi longtemps. Il se leva, sortit de la tente, et se dirigea vers ce qui semblait être la place du village. Un grand feu y avait été allumé et quelques plateaux étaient disposés autour. Les mets préparés par les hommes et femmes de ce village sentaient bons et chatouillaient agréablement les narines de Haigman. Madir s’approcha de son hôte et l’invita à s’asseoir, puis pris place à côté de lui. Tout le village était réuni pour cette fête improvisée en l’honneur de cet étranger dont le regard droit attirait la sympathie. Le repas fut partagé dans la joie et les rires, puis deux femmes et deux hommes se levèrent pour un chant dont la mélodie était triste et belle. Haigman fut ému de cet accueil chaleureux et se leva pour remercier toutes les femmes et tous les hommes du village. Ceux-ci se retirèrent tous, seuls Madir et trois hommes restèrent assis avec Haigman.

- Puis-je poser une question ? Interrogea Haigman.

- Bien sûr, répondit Madir. Mais avant cela, laisse-moi te présenter Cardhu, Morangie et Aberlour. Les trois hommes inclinèrent la tête au moment où le chef du village les présentait à Haigman.

- Merci encore pour la chaleur de votre accueil, je suis touché au plus profond de mon cœur, dit alors Haigman.

- Tu es le bienvenu parmi nous, répondit Madir. Quelle est donc ta question, Haigman ?

- Pourquoi votre village porte un nom étrange ? Il y a donc une grotte à proximité ?

- Oui, cette grotte est maléfique, déclara Madir en regardant les trois autres villageois.

- En quoi l’est-elle donc ? Interrogea Haigman dont le visage reflétait sa perplexité.

- De mauvais esprits y sont présents et viennent à chaque nouvelle lune. Celle-ci aura lieu cette nuit même, reste sous ta tente et n’en sors pour aucune raison.

- Je n’ai pas peur et je ne crois pas aux esprits, qu’ils soient bons ou mauvais.

- Nous aimerions partager ton point de vue, dit Madir en regardant Cardhu, Morangie et Aberlour.

- Si vous craignez ces esprits maléfiques, pourquoi ne partez-vous pas vers une contrée moins hostile ?

- Parce que la forêt proche est giboyeuse et nous avons l’eau et le soleil pour le blé, murmura Madir.

- Où se trouve cette grotte ? Demanda Haigman.

De son bras tendu, Madir montra la grande colline qui dominait le village. L’homme du Haut-Plateau regarda dans cette direction et sursauta, elle avait un aspect lugubre au cœur de la nuit. Il dévisagea ses hôtes l’un après l’autre, et ceux-ci baissèrent leurs yeux. Haigman comprit à quel point ces hommes étaient terrifiés. Il se mit debout et scruta attentivement la colline pour apercevoir la grotte.

- Il faut deux heures de cheval pour y être, indiqua Madir. Mais je te déconseille de t’y rendre.

- Cette nuit est celle de la nouvelle lune. Je vais y aller, dit Haigman d’une voix forte et assurée.

- A ta guise, Haigman. N’oublie pas une chose : aucun de nous ne te portera secours. Tu seras seul face aux esprits et tu n’en reviendras pas vivant. Nous enverrons un des hommes du village pour informer les tiens de ta mort.

- Je n’ai aucune intention de mourir et je répète que je ne crois pas à vos esprits.

Comprenant qu’il était inutile de parler de ce sujet tabou pour les villageois, Haigman tourna les talons et alla vers son cheval. Les quatre hommes le regardèrent partir en espérant qu’il ne regretterait pas sa témérité. L’homme du Haut Plateau monta à cheval, mit son sabre derrière son dos, et fit aller sa monture vers la colline. La pente était si raide qu’il dut mettre pied à terre. A quelques pas du sommet, le cheval se cabra et refusa d’aller plus loin. Haigman tenta de le calmer et continua seul car il n’y parvenait pas. A l’entrée de la grotte, il hésita puis y entra en marchant d’un pas décidé. A haute voix, il cria aux esprits qu’il ne les craignait puisqu’ils n’existaient pas. Haigman fut surpris de n’entendre aucun son, aucun bruit de la nuit. Pendant qu’il gravissait la colline, les oiseaux avaient cessé leurs chants nocturnes, les cigales s’étaient tues et les crapauds de la mare du village ne coassaient plus. Au fond de la grotte, Haigman s’assit et posa son sabre, sorti de son fourreau, à portée de main. La chaleur était tellement forte qu’il en suffoquait presque. Puis, sans s’en rendre compte, il s’assoupit. Des rêves étranges prirent alors possession de lui. Des créatures formaient un cercle autour de lui. Leurs yeux étaient rouges et le fixaient avec curiosité et mépris. Puis les regards se chargèrent de haine. Les yeux de Haigman roulaient sous ses paupières, le cauchemar venait de commencer. Lorsqu’il reçut de violents coups de bâton sur les épaules, il se leva en se saisissant de son sabre, qui vola dans les airs vers l’entrée de la grotte. Dans son cauchemar, il ne voyait pas les assaillants et ressentait la douleur à chaque coup assené sur tout son corps. Haigman tomba alors à terre et tenta de se protèger sans y parvenir. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était étendu devant la grotte, le soleil dardant ses rayons sur son visage. Il se leva et fut surpris par l’aube naissante. Lorsqu’il fit quelques pas, il chancela car tout son corps était douloureux. Haigman se dit que cela était dû à la dureté du sol de la grotte et marcha vers son cheval. Celui-ci semblait très calme et son cavalier s’interrogea sur la raison de la terreur de sa monture à l’approche de la grotte au cours de la nuit.

Marchant avec difficulté, Haigman alla vers sa monture pour descendre vers le village. Il caressa la crinière de son cheval en regardant le soleil. Tournant la tête, il s’aperçut que les crins de la queue étaient tressées un par un. Il en sursauta de stupeur et chancela en voyant que la crinière était nattée elle aussi. Il ferma les yeux et comprit qu’il avait vécu son cauchemar !