Glen Loverdale ...

Roc

Séquence première

 

Trois cent hommes en tenue militaire et rangers attendent le départ. Il faut parcourir huit kilomètres en cinquante minutes. Je suis prêt et je m’élance lorsque le clairon retentit. J’aime la course à pied mais pas dans ces conditions. Les rangers sont lourdes et ralentissent la foulée. Je n’aime pas courir en groupe compact. Sans accélérer j’augmente mes foulées. Rapidement, je me trouve en tête de course et je peux réduire mes foulées. Etrangement, j’ai de bonnes sensations physiques aidé en cela par les conditions météorologiques favorables. Il fait un peu frais mais le soleil est au rendez-vous. J’aime la cadence de mes rangers qui claquent sur l’asphalte, à l’unisson des battements de mon cœur. Je prends la décision de gagner cette course. Simplement pour prouver aux autres coureurs que je suis le meilleur. Je vais montrer que je suis un roc, celui qu’ils ne rattraperont pas. Je cours en allongeant mes foulées. Je viens de parcourir le premier kilomètre et je suis seul juste derrière un officier qui court mieux que moi. Au croisement, les femmes prendront à droite car le parcours est de cinq kilomètres pour elles ; à gauche, c’est parti pour les sept kilomètres. En passant devant l’usine d’équarrissage, l’odeur m’incommode et j’augmente encore mes foulées. Les bonnes sensations ne me quittent pas, au point que je dépasse même les coureurs du parcours de cinq kilomètres dont l’itinéraire est plu court que le mien. A l’entrée de la caserne, j’augmente encore ma cadence jusqu’au stade où il faut faire un tour de piste. Je le fais quasiment en sprint et m’effondre, épuisé, à l’arrivée. Je suis second avec un temps qui me rend euphorique. Trente neuf minutes pour huit kilomètres en rangers, ce qui est loin d’être facile. Mes cuisses seront tétanisées durant cinq jours, mais peu importe car je suis le roc !

 

Séquence deuxième

 

Un entrainement sur un parcours de huit kilomètres pour préparer le cross régimentaire. En short et maillot sans manches, je m’élance avec les autres coureurs. Très vite, je ressens de bonne sensation et suis en tête. Le roc va encore une fois mettre le feu. Seulement, le lacet d’une de mes chaussures de sport se défait. Cela permet aux autres de me dépasser. Je me relève et fait un petit saut pour me donner de l’élan. Une fraction de seconde, où mes deux pieds ne touchent pas le sol, je vois l’ornière de boue séchée avec la marque d’une roue de tracteur. Impossible de l’éviter et je sens ma cheville droite se tordre à la réception. Je connais bien la douleur fulgurante qui signifie une entorse. Je marche un peu en me demandant si je retourne à la caserne ou si je continue la course. Contre toute logique, je repars en courant lentement. Je sais que la douleur va disparaître avec l’échauffement des muscles. Je sais que ma décision est stupide mais le roc ne va pas céder. Je croise une vieille femme allemande qui marmonne en me voyant courir avec une foulée boiteuse. Peu importe puisque je rattrape les autres et que je les laisse sur place. Le roc a encore gagné et il est fier de sa victoire stupide. Quelques heures plus tard, la cheville est tellement enflée qu’elle a triplée de volume. La douleur est forte mais un roc n’a jamais mal.

 

Séquence troisième

 

L’entorse est un mauvais souvenir. Encore une séance d’entrainement pour une course dans quelques jours. Très vite, je suis en tête loin devant les autres. François qui court très bien arrive à ma hauteur. Il n’y a pas de compétition entre nous, un profond respect s’est installé entre lui et moi. Nous avons été présents l’un pour l’autre dans des moments difficiles. Il m’a soutenu comme un frère lorsque j’en ai eu besoin et j’en ai fait de même. On a les bonnes sensations et la victoire n’est plus un enjeu. Il ne reste que l’envie de se sentir bien, d’être apaisé. A mi-parcours, le lacet d’une chaussure de François se défait. Il me dit de ne pas l’attendre car je vais casser mon rythme. Je ne réponds rien et sautille sur place pour ne pas laisser mes muscles refroidir. Je ne repartirai pas sans lui et peu importe si les autres nous dépassent, ce qui est d’ailleurs le cas. On court presque épaule contre épaule, on est simplement heureux. Ce jour-là, j’ai décidé de ne pas être un roc …

 

Pourtant, le roc le redeviendra encore longtemps puisqu’il n’aura pas compris le sens de la course avec François. Un jour, il fera une rencontre surprenante et il comprendra enfin que cela ne sert à rien. Il apprendra qu’un roc peut perdre sa dureté artificielle et pleurer pour revenir à l’essentiel …



08/03/2013
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