Deux Lunes
La souffrance était terriblement forte au cœur de la nuit. Glen a une résistance hors norme à la douleur physique mais il résiste moins facilement au stress psychologique intense. Cette nuit s’annonçait blanche mais son corps fatigué avait besoin de repos. Alors, il descendit et alla vers l’armoire à pharmacie, dans la cuisine. Le médicament pour la douleur est un dérivé de morphine, dans la catégorie des opiacées.
Glen avala deux comprimés et regarda la plaquette. Il avait un sourire étrange, presque un rictus qui aurait fait peur à voir. Sans réfléchir, il prit six autres comprimés. La dose maximale est de six comprimés par jour, mais il est possible de pousser jusqu’à huit.
« Mon Glen, tu viens de prendre la dose d’une journée entière, tu ne serais pas un peu suicidaire ? » disait une petite voix dans sa tête.
« Tais-toi donc, rétorqua une autre voix, j’ai juste besoin de dormir. Ces médicaments peuvent m’y aider, c’est tout ! »
« Si tu le dis, tu t’en convaincras », répondit la première voix.
Glen remonta à l’étage et s’allongea près de son amie, dont le souffle était léger, montrant qu’elle avait un sommeil paisible. Etendu sur le dos, Glen était satisfait que la morphine ait calmé ses douleurs physiques. Pourtant avec la dose énorme qu’il avait prise, il devrait être assommé, mais ce n’était pas le cas. Trente minutes plus tard, il se leva et redescendit à la cuisine pour boire un verre d’eau. Sur la table, il vit la boite de comprimés. Il s’en approcha comme hypnotisé. Il sortit la plaquette et avala dix autres comprimés. Il était largement au-dessus de la maximale pour quarante-huit heures. Et cela en seulement trente minutes.
« Tu veux mourir, Glen ? » Interrogea la première voix.
« Tais-toi donc et laisse moi tranquille ».
« Désolé mon gars, mais là, tu nous tues tous les deux ».
Glen ne comprenait pas encore qu’il était sujet aux hallucinations auditives. La morphine passait dans ses veines et lui faisant entendre des voix qui n’existaient pas. Il était persuadé qu’il parviendrait à dormir maintenant, sans être sûr de se réveiller le lendemain. Il risquait un arrêt cardiaque mais ne s’en rendait pas compte. Cela n’avait aucune importance en cet instant hors du temps, hors de l’espace.
Lorsqu’il monta les marches de l’escalier, il eut un vertige du à la morphine. Dans la chambre, il regarda son amie puis marcha lentement vers la fenêtre. La maison était isolée de tout, au cœur de nulle part. La lune éclairait le grand parc du château d’une lueur étrange. Glen observait les arbres dont les branches étaient secouées par le vent.
« Je me sens bien », dit alors la première voix.
« Sensation ! Juste une sensation. Aucune réalité ! », affirma la seconde voix.
« Regarde donc le ciel étoilé. C’est magique, il y a deux Lunes cette nuit ».
Prisonnier des hallucinations visuelles, Glen voyait effectivement deux lunes. Il se rappela « La fable à Venise », une aventure de Corto Maltèse, écrite et dessinée par Hugo Pratt. Comme Corto, il trouvait étrange ces deux Lunes. Tout comme le personnage de bandes dessinées, il se disait que les rêves sont aussi une réalité. Cette réalité qui ne peut être accessible qu’aux êtres à part.
« Tu délires complètement » dit la première d’une voix coupante.
« Ne sais-tu donc pas que l’irréel est une forme de réalité ? », rétorqua la seconde voix.
« Hallucinations de drogués, tu es complètement défoncé ».
« Regarde donc, en ouvrant ton esprit, tu découvriras la vraie beauté du monde. Les magnifiques trésors sont sous nos yeux, et nous ne les voyons pas».
« Tu devrais t’allonger en espérant que tu te réveilleras demain matin. Peut-être vivant, mais cela m’étonnerait ».
« Trouver le bijou romantique. Telle est ma quête, trouver le bijou romantique ».
En titubant et marchant à reculons, Glen alla vers le lit en observant les deux Lunes qui le fascinaient. Il tourna la tête vers sa compagne et eut alors un rire démoniaque.
- Je ne t’aime plus, dit-il d’une voix coupante comme le vent.
La jeune femme dormait d’un profond sommeil dont rien ne pouvait l’éveiller. S’allongeant sur le lit, Glen éclata d’un rire tellement dément qu’il aurait terrifié n’importe quel être humain. Il frissonna en ressentant un froid glacial envahir son corps. Il sombra alors dans un profond sommeil artificiel lié au surdosage de morphine.
Sa nuit fut peuplée de cauchemars, tous plus terrifiants les uns que les autres. Il ne s’en souviendrait pas le lendemain matin. Sa mémoire ne conserverait que la terreur qui avait peuplé sa nuit. Les deux voix des ses hallucinations savait qu’il n’aimait plus cette femme. Il partirait bientôt pour ne plus la revoir. C’était une simple question de survie psychologique pour Glen. L’homme blessé par tant de coups reçus ne se battrait jamais pour une illusion d’amour.
Désespérément humain, il se mettrait sous la protection de la Lune. Ou des deux Lunes !
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